Brooklyn

3 avr. 2016



Dans la lignée des films à ne pas rater pour le Printemps du Cinema, il y avait Brooklyn : un film sur la vague d'immigration irlandaise à New York, dans les années 50.

Les images m'intriguaient, le thème avait l'air très bien traité et, cerise sur le gâteau, j'ai cette espèce de tendresse démesurée pour tout ce qui à trait à l'Irlande.


Le pitch : C'est la soeur d'Eilis qui sera le moteur. Celle qui lui offrira un avenir, en lui trouvant un travail en Amérique et une place sur un paquebot, là où sa vie en Irlande avait tout l'air d'être une impasse. Armée de sa droiture et de son côté très fille de la campagne, Eilis débarque à New York, dans l'espoir d'y trouver une vie meilleure. Loin des contrées d'Irlande et de ses accents gaéliques, c'est à Brooklyn qu'elle s'installe, le nouveau quartier irlandais.  

Ce qui est particulièrement intéressant dans cette histoire, c'est qu'il est le point de vue d'une femme. Dans les années 50. Tu vois un peu si toutes les petites irlandaises prenaient leurs valises et partaient travailler à l'autre bout de la Terre. Non, elles étaient plutôt du genre à rester dans leur petite bourgade fleurie en attendant de se trouver un mari.

L'histoire d'Eilis (prononcer Eilish) est donc le point de vue d'une femme forte, qui part toute seule avec sa valise à la conquête de l'Amérique. Ce qui est très inspirant, même pour les femmes d'aujourd'hui.

Je suis ressortie de la salle pleine d'émotions, et le film me trotte encore un peu en tête le lendemain. Ce qui est un grand indicateur d'une certaine qualité.

Visuellement, l'univers est magnifique. Des grandes plages atlantiques aux petites rues du bourg irlandais, le faste du magasin Bartocci's jusqu'aux briques rouges new yorkaises, tout est très soigné.
La mode est rendue au millimètre, et je dois dire qu'il est très plaisant de laisser son regard s'y promener, même si comme moi tu détestes les vêtements des années 50. Les pantalons des hommes, sans déconner... un tue l'amour de silhouette sponsorisé par Bozo le clown.

J'ai adoré les personnages.

Eilis est campée avec tellement de sincérité, qu'on ne peut que s'attacher à son personnage. Un peu naïve, mais pas tant que ça, on la sent très intelligente, elle apprend vite, elle sait faire la part des choses. Même pendant ses longs passages de loose, en train de gerber dans le bateau ou en petit animal blessé qui a le mal du pays, elle ne peut que plaire, à l'unanimité.

Tony le petit-ami italien, on s'y attache aussi rapidement. Peut-être pour ces petites mimiques de petit Don Juan au sourire tordu, un rien simplet dans ses joies (me fais penser au mec de ma meilleure amie, tiens). On est touchés par sa sincérité, par ses peurs, on a envie que tout aille bien pour lui, qu'il la construise sa vie de rêve avec chauffage et téléphone.

Les personnages secondaires sont succulents. La délicatesse de la soeur, la franchise de la mère, les copines un peu barrées, le côté très gentleman de Jim Farell, la verve de la tenancière de la pension, le petit frère qui n'aimait pas les irlandais et même l'horrible Mme Kelly. Tous sont très bien brossés.

Le casting est excellent.

Je partais avec un mauvais à priori sur Saoirse Ronan. Parce que j'avais du mal avec son faciès, que je le trouvais trop candide, grossier et pas très accrocheur. (en même temps elle avait 16 ans dans ses précédents films, j'aurais du m'en rendre compte...)
Et bien j'avais tort. Sa prestation est juste spectaculaire.
Elle est magnétique dans ses robes qui la rendent un peu potelée, sublime avec son maquillage et ses cheveux relevés.
Je l'ai aimée dans ses doutes, dans ses peines et surtout, surtout, dans ses sursauts de courage.

Grande fan invétérée de Julie Walters (parfaite dans Billy Elliot et tous ses autres films et pourtant si tiède en Molly Weasley dans Harry Potter) je ne l'avais pas reconnue dans le rôle de la truculente Mme Kehoe, qu'elle campe évidemment à merveille.

Second Potterhead au casting, Domhnall Gleeson (Bill Weasley dans Harry Potter) et son physique so british, bref l'irlandais bien campé avec sa brillantine et sa veste à écusson, 100% crédible dans son profil de joueur de golf.

J'ai adoré le développement de l'histoire façon roman d'apprentissage.
Eilis arrive en ne connaissant quasiment rien de la vie.
On a l'impression qu'elle apprendra tout aux Etats-Unis : les bals, les hommes, le mascara, le rouge à lèvres, les maillot de bain... Big up pour la scène du cours de spaghettis.

Mais la force du film se trouve dans l'inattendue situation a laquelle Eilis est confrontée. Le retour en Irlande alors que tout allait pour le mieux aux Etats-Unis.
J'ai eu le coeur qui battait à l'unisson avec elle, j'ai enragé pour elle, j'ai badé avec elle. Pourquoi ce coup du sort ? Genre tout ça, pourquoi ne pas lui avoir donné avant son départ aux USA ?

Eilis est confrontée à cette horrible situation, celle du choix cornélien. Deux vies l'attendent, pleines de promesses l'une comme l'autre. Et elle ne peut malheureusement en vivre qu'une seule.





Seul petit bémol : je m'attendais tout de même à un propos plus global. A une réflexion sur l'impact de l'immigration à l'échelle d'une vie. Comme on le sait qu'on ne les oublie jamais, le pays de l'enfance, les origines.

Je n'ai pas aimé ce côté très réducteur qui tient en l'équation suivante : Eilis commence à aimer sa vie aux US juste parce qu'elle a rencontré un mec. Ok, on est dans les années 50. Mais quand même. L'ambition, l'amitié sont si peu mis en avant qu'on a envie de se dire que si la pauvre Eilis rencontre le moindre problème avec Tony c'est retour immédiat par le premier paquebot en Irlande. Bref, c'est dommage ce côté "Alors voilà elle a trouvé du taff et un homme qui veut l'épouser, elle porte des plus jolies robes que les robes irlandaise, bye bye salut ciao le pays de mon enfance que j'ai tant pleuré pendant l'heure précédente. Et voilà c'est bouclé merci au revoir."

Dommage. Qu'adviendra-t-il de la mère ? De la force de ses racines ?
A la façon dont elle fuit l'Irlande, son départ sonne comme un abandon. Je me doute bien que la traversée n'étant pas facile, elle ne va pas manger du New York - l'Irlande tous les week end, mais quand même. Qu'est-ce qui t'empêche d'y aller tous les ans ?

J'ai adoré les scènes du pensionnat. Le repas très strict où la haute en couleur Mme Kerhoe aime à faire régner de sa poigne la conversation.

Mais le plus bel effet du film, c'est peut-être les deux scènes en miroir de la traversée. Les conseils sur le bateau, ne pas manger sur l'atlantique, fermer la porte de sa cabine, puis les conseils à la douane, le menton en l'air, fier mais pas trop et surtout, surtout, ne tousse pas. On dit que Brooklyn, c'est un peu comme si on était au pays, c'est vrai ? Oui, c'est vrai.





Bref, On a rarement aussi bien évoqué l'American Dream au cinema.
Brooklyn est aussi clairement un film qui fait réfléchir.
Outre son écho à l'actualité, avec le cas des Migrants en Europe, c'est avant tout le destin d'une femme pleine d'ambition, qui se donne les moyens de ses choix dans la vie, qui prend le risque de se planter honteusement, qui envoie bouler sa zone de confort et qui a la courage de renoncer à beaucoup de choses en traversant l'Atlantique.

Mon mec aurait pourtant identifié ce film de "film de filles gnan-gnan". Ok, y a toute une éducation cinématographique à revoir, mais au delà de ça, je reprocherai un peu trop à Brooklyn de s'être centré sur l'histoire d'amour d'Eilis, au llieu de couvrir tous les pans de sa vie.

Conclusion : A voir absolument, si tu as un coeur sous les couches de ton épiderme et plus particulièrement si tu as un tant soit peu d'amour pour l'Irlande.

PS : le film est basé sur un roman, Brooklyn de Colm Toiblin. A mettre dans ma pile à lire, d'urgence.