La femme rompue ◆ Simone de Beauvoir : pièges & dangers de la dépendance conjugale

8 mars 2019

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8 Mars, "journée de la femme". Un expression qui a longtemps ouvert la porte aux remarques les plus sexistes. Récemment rebaptisé "journée internationale des droits des femmes" ce 8 mars a tendance a libérer l'opinion. Vouloir prendre la parole, à sa petite échelle d'habitante d'un corps à chromosomes X. La mienne est enragée et ténue à la fois. Maladroite et peu sûre d'elle-même. Alors je ne la prendrai par pour l'instant, cette parole. Mais je la laisse à d'autres, plus emblématiques, dont une aujourd'hui, particulièrement mythique.

En cette journée internationale des droits des femmes, quoi de plus approprié qu'une chronique d'un roman de Simone de Beauvoir, première féministe de France ? Petite envolée au sein d'un texte peu connu, un texte oublié. Mais un texte fondateur, à sa façon.

Je n'avais encore jamais lu Simone de Beauvoir. Enfin si, mais au lycée. Et je n'ai pas grand souvenir de ses Mémoires d'une jeune fille rangée si ce n'est un vague souvenir d'avoir aimé le temps passé entre ses pages. De Simone, qui me fascine littéralement, j'avais prévu de lire en premier Le deuxième sexe, évidemment. Mais pour cause d'absence du titre à la bibliothèque, je me suis rabattue sur son voisin d'étagère, La femme rompue. Le titre m'a tout de suite intriguée, et la citation explicative a achevé de me convaincre.



Le pitch :  "La femme rompue est la victime stupéfaite de la vie qu'elle s'est choisie : une dépendance conjugale qui la laisse dépouillée de tout. "

Les thèmes : 
la dépendance ◆ l'oppression ◆ le mariage ◆ la famille ◆ le désoeuvrement 
◆ la femme bafouée ◆ la chute ◆ le temps qui passe 




Le ton est posé d'entrée de jeu. On sait qu'il s'agira de ce coup classique, de ce piège tendu à la génération de nos grands-parents, celui qui ne guette plus tellement la femme du 21ème siècle, prémunie par les exemples de ses ainées (et des cas sociaux qui l'entourent) : la femme dépendante de son mari, financièrement, sentimentalement, la femme qui ne vit que pour son foyer, la femme qui n'existe pas pour elle-même.

Sous ces allures de roman, La femme rompue est en fait un recueil de trois nouvelles. L'âge de la discrétion, Monologue et La femme rompue. Toutes trois ont en commun la mise en scène d'une femme, au moment même où elle prend conscience que ses choix de vie l'ont menée dans une impasse. Il s'agit donc d'une femme dans la soixantaine, trahie par son fils et son mari. Du monologue enragé d'une femme en lutte contre tout le monde, obligée de s'agripper aux gens pour exister. Et d'une autre femme dans la quarantaine qui apprend que son mari la trompe avec une femme plus jeune.




Trois nouvelles. Trois histoires de femmes qui souffrent à la première personne.

A travers tous ses portraits, j'ai senti le parfum des années 70, avec tous ces prénoms désuets, désespérément français, ces dialogues où l'on ne s'affronte pas de front, ce sexisme ambiant, que j'avais déjà senti dans Le bon plaisir (que je n'avais pas aimé) de Françoise Giroud. J'ai aimé aussi naviguer dans Paris aux côtés de ces personnages, avec un amour tranché pour Saint Germain des prés, le quartier phare de Sartre et  Beauvoir. 

L'auteur, qui ne s'est jamais mariée et a toujours refusé la maternité, maitrise étonnamment bien le thème conjugal et les tenants et aboutissements des relations familiales. En cause, probablement les fruits d'une observation longue et affutée. 

Mais bien évidemment, ce qui fait de ce roman un écrit remarquable, c'est son style d'écriture. Le style Beauvoir est incroyable. Fin, subtil, percutant. Epoustouflant. J'ai noirci des pages et des pages de citations. L'auteur met des mots sur l'indéfinissable, le latent, le non-nommé. Et à loisir, avec brio, la voici qui change de registre et de langage, au détour d'un de ses personnages héros de la nouvelle suivante, qui jure comme un charretier, vomis une logorrhée d'insanités mais n'en est pas moins qualitative. Chapeau bas, Madame de Beauvoir.





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Simone de Beauvoir nait en 1908 à Paris. Issue du milieu bourgeois, elle se distingue dès l'enfance par ses capacités intellectuelles où elle occupe la première place de son école dite "de bonne famille". Poussée par son père, avocat mais amateur d'art, Simone songe à prendre le contrepied de son milieu bourgeois où la femme n'existe que par le mariage. A 15 ans, elle décide de devenir un écrivain célèbre. Après des études de lettres et de philosophie, elle rencontre Jean-Paul Sartre à l'université. Fascinée par le génie, derrière lequel elle décroche toujours les secondes places, c'est le début de leur relation mythique et de leur union libre et égalitaire qu'ils nomment "amour nécessaire" par opposition à leurs "amours contingentes".

Après l'obtention de son diplôme, Simone de Beauvoir devient enseignante de philosophie. Prise dans le tourbillon d'une vie mondaine et frugale à la fois, entourée de gens, ponctuée de voyages et de sorties culturelles aux côtés de Sartre, elle publie son premier roman en 1943, L'invitée, où elle y décrit les relations d'un trio amoureux, ressemblant à celles qu'elle vit avec Sartre et une de leurs amies.

Peu de temps après survient le succès. Aux côté de Sartre, Leiris et Vian, elle fonde une revue existentialiste : Les temps modernes. S'ensuivent plusieurs romans et essais engagés pour la cause communiste. Ouvertement athée, elle voyage et rencontre les plus grandes figures communistes ( Fidel Castro, Che Guevara, Mao Zedong..). Aux Etats-Unis, elle rencontre Nelson Algren, qui devient son amant et entretien avec lui une relation épistolaire des plus passionnées.

En 1949, elle touche la consécration en publiant Le deuxième sexe. Le live est un succès, le parfum de scandale est tel que le Vatican le met à l'index. En 1954, elle obtient le prix Goncourt pour Les mandarins et devient l'une des auteures les plus lus au monde. Signataire du Manifeste des 121, prenant position contre la guerre d'Algérie, et notamment les tortures infligée aux femmes. Aux côtés d'Elizabeth Badinter, elle rédige et signe le Manifeste des 343, s'exposant à des sanction pénales en déclarant s'être fait avorter au cours de sa vie, un appel qui ouvre la voie à la loi Veil pour la légalisation de l'IVG en 1975.

Simone de Beauvoir rencontre Sylvie Le Bon, étudiante en philosophie, qui devient sa fille adoptive et hérite de son oeuvre littéraire. Elle travaille toujours sur la rédaction de ses mémoires, commencées deux décennies plus tôt. Six ans après la mort de Sartre, Simone de Beauvoir s'éteint, entourée de sa fille adoptive et de Claude Lanzman, son dernier amant. Elle est inhumée en 1986 au cimetière Montparnasse. Elle laisse derrière elle un énorme travail en science sociale qui ouvre la voie au mouvement féministe du fin 20ème et début du 21ème siècle, centré autour de sa mythique citation : "on ne nait pas femme, on le devient." 

 
On lit La femme rompue, son petit volume de 250 pages pour sa vision perçante du mariage et des souffrances auxquelles il conduit la femme qui n'a pas pris le temps de vivre pour elle-même. Le style Beauvoir, incomparable, nous emporte et sonne comme une mise en garde dans ce recueil de nouvelles, le long de ces portraits de trois femmes sur lesquelles le piège de la dépendance vient de se refermer.



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