Tess d'Urberville ◆ Thomas Hardy : Aimée trop tard, déchéance d'une jeune paysanne du 19ème siècle

22 sept. 2019

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Tess d'Urberville. Un monument de la littérature classique anglaise sur lequel je n'avais jamais daigné poser les yeux. Peut-être le nom, peut-être la couverture du roman au fil des années. Je m'imaginais une intrigue placée dans une cité moderne de l'Amérique du 19ème. Pas franchement ma came. Mais non. J'avais tout faux. Et c'est donc très tard, je l'avoue, que j'ai fini par me pencher sur Tess d'Urberville.


Il faut dire que j'avais déjà rencontré Thomas Hardy quelques années auparavant, au travers du merveilleux film et du roman dont il fut tiré, Loin de la foule déchainée. Et que j'avais eu très envie de remettre le couvert avec cet auteur, dont j'avais trouvé les thématiques et l'histoire très intéressantes.
Contrairement à beaucoup de gens, je ne raffole pas de la plume de Thomas Hardy. Il y a dans ses mots un certain manque de souplesse, quelque chose d'un peu indigeste à mon sens, sans doute cette omniprésence du geste paysan, façon Tolstoï, qui sur des paragraphes, traine parfois en longueur.

Toujours est-il que les 475 pages en petits caractères de Tess d'Urberville, m'ont plutôt pris aux tripes. Et pour cause : Tess est l'avant dernier roman de l'auteur, un de ses plus aboutis, et clairement son préféré. 


résumé


Le pitch : Tess Duberfield, jeune paysanne de 15 ans, toute jolie et plutôt intelligente se rêverait bien institutrice, plus tard. Mais c'est sans compter sur les aspirations de sa famille à qui le pasteur vient de révéler que les Duberfield étaient autrefois les d'Urberville, une des plus riches et puissantes familles du Wessex. Galvanisés par cette grande nouvelle, les Duberfield envoient Tess, leur ainée, se réclamer à leurs plus proches parents, espérant ainsi les tirer de l'indigence. Mais la jeune fille, candide, tombe dans les filets de son très peu scrupuleux cousin Alec d'Urberville, qui abuse d'elle. Sa vertu envolée, Tess est montrée du doigt, et tente de fuir l'opprobre qui ne cesse de pleuvoir sur elle avec cruauté, et semble, au fil des années, l'enfoncer inexorablement dans la déchéance.


Les thèmes :

l'amour contrarié ◆ la pauvreté ◆ la vie rurale ◆ le 19ème siècle  l'injustice ◆ 
l'opprobre ◆ la déchéance ◆ le christianisme ◆ le mariage ◆ l'élévation sociale



avis perso


Refermer un livre de Thomas Hardy c'est toujours avoir le sentiment d'avoir vécu un beau moment, au travers d'une histoire poignante qui transcende les époques.

Tess d'Urberville n'a pas fait exception. Alors que j'y allais plutôt à reculons, j'ai beaucoup aimé ce roman. Dans la grande tradition Hardy, on retrouve une critique de la société victorienne qui tient place dans le Wessex, (imaginaire) région rurale reculée d'Angleterre où les moeurs sont encore très conservatrices.

Cette fois-ci, on suit la déchéance d'une femme. Qui ne s'en relevera pas. Le ton est donné rapidement. Les signes de mauvais augures sont très nombreux dès le début et suivent à mesure que Tess s'enfonce dans les vicissitudes de la vie.

On sent qu'Hardy adore son personnage. Il répète à n'en plus finir le nom de Tess à tout bout de champ, pour l'amour de sa musicalité, semble-t-il. Il faut dire que le personnage est attachant. Naïve et fière, scrupuleuse et incertaine, la jeune fille affiche une dignité plus que louable pour son jeune âge et ses origines, et ce, en toutes circonstances.

Tess est une femme passionnée. Elle compense son manque de culture par sa manière de comprendre le monde, en sentant les choses. Intuitive et responsable, elle se situe, pour son malheur, dans un entre deux.

Surpassant les filles de la campagne, elle n'atteint pas le statu d'une femme aisée. Rejetée des deux bords, elle n'appartient à aucun des deux mondes. Tess est suffisamment instruite pour se distinguer de la rusticité des paysannes, mais absolument pas aguerrie, contrairement aux femmes du monde qui ont lus des romans où s'ébauchent les dangers des relations avec les hommes.

Aussi, elle tombe les deux pieds dans un piège dont personne n'a pris la peine de la prémunir.
De cet instant, tous les malheurs découleront.



" Et, en considérant ce que Tess n'était pas,
il négligeait ce qu'elle était, et il oubliait que
l'imperfection peut être supérieure
parfois à la perfection même. "





Si Tess d'Urberville est une énième histoire des malheurs d'une pauvre fille, qui comme de nombreuses autres, doit sa chute à un noble, l'incroyable spécificité du roman est le regard bienveillant que l'auteur pose sur elle. Hardy ne rit jamais d'elle, ni de ses erreurs ni de son innocence. Au contraire, il s'applique à la comprendre, et, prenant son parti, prend le parti de toutes les femmes, dont il dénonce l'injuste condition au sein de la société victorienne.

Thomas Hardy est clairement le seul auteur de son époque à ne pas condamner les "pêchers" de son héroïne. Incroyablement moderne, l'auteur soutien la femme, argumente et pointe du doigt l'hypocrisie du système. Il fait remarquer que Tess est consciente d'avoir enfreint une loi sociale, et non une loi naturelle. Et qu'à "faute" égale, à savoir, le sexe avant mariage, l'homme est pardonné. Tandis que la femme est jugée, condamnée, perdue. Alors même qu'on a abusé d'elle.



" Son amour était aussi entier que celui 
d'un enfant et, quoique chaud comme l'été, 
il avait la fraîcheur du printemps. "




Mais Tess d'Urberville, c'est avant tout ce portrait de la vie rurale. Avec ses hommes et ses femmes aux besognes difficiles, cette vie au rythme des saisons. J'ai beaucoup aimé cette plongée dans cet univers aussi rude que joyeux, absurde et grand à la fois.

Les vaches qui n'aiment être traites que par leurs habituées. Le fermier qui manqua de faire appel à l'exorciste quand son beurre eut un arrière goût d'ail. Les familles qui déménagent en Avril, qu'on voit se percher sur l'amas de leur meubles, déambulant dans des charriots sur les routes. L'arrivée de la machine et de l'industrialisation mécanique et ses ouvriers fantômes...

Constance dans l'oeuvre d'Hardy, on retrouve ce désir de parler des gens de la terre, là où les auteurs de sa génération préfèrent portraiturer la petite bourgeoisie ou la haute noblesse des grandes villes. Mais on retrouve également une thématique qui lui est chère : le doute religieux. Fortement impacté par les travaux de Darwin dont il est le contemporain, Hardy essaime au fil de ses pages une certaine réflexion qui pointe les failles du système chrétien.

Dans Tess d'Urberville, l'auteur oppose le savoir des gens de la terre, hérité du paganisme, au savoir prosélyte des hommes de la ville.

On retrouve cette dichotomie dans le personnage d'Angel Clare qui, fils de pasteur, désire se détourner de cette voix. Mais se retrouve bien incapable de raisonner hors du champs religieux malgré ses diatribes sur la supériorité de la pensée hellénique. Au fil des pages et des personnages qui s'en insurgent, on sent venir en toile de fond, lentement mais surement, le déclin du christianisme et de la foi religieuse de masse.

On sait qu'Hardy fut très controversé en son temps. Et que de nombreux éditeurs lui demandèrent de revoir et de réécrire des passages, le forçant à s'auto-censurer. Ce que l'auteur s'inclina à faire, de mauvaise grâce, dénonçant l'hypocrisie de la société victorienne en évoquant son impossibilité d'aborder réellement "des sujets auxquels tout le monde pense mais dont personne ne souffle mot". 



" Il n'existe pas, on a pu en faire 
l'expérience, de sentier régulier pour sortir 
de l'amour, comme il y en a pour y entrer. "



Si j'ai aimé l'histoire de Tess, que j'ai trouvé particulièrement poignante, je terminerai par une petite mise au point, car sur la 4ème de couverture, la présentation éditeur Le livre poche c'est NON. Haro sur les choses. Tess n'est pas "séduite" par Alec d'Urberville. Elle est prise de force.

L'homme exerce une forte pression psychologique sur la jeune fille. Voulant la "courtiser", il la menace, essaie d'obtenir ses faveurs par la force, lui ment et la trompe sciemment, s'introduit la nuit dans sa chambre, se cache derrière les rideaux pendant qu'elle est au travail, lui fourre de force des fraises dans la bouche... Harceleur, stalker, Alec d'Urberville achève de perdre patience, et ce que finit par faire en toute impunité porte un nom : le viol.

Qu'il ne soit pas mentionné comme tel par l'auteur d'un public victorien particulièrement prude est une chose. Mais que les éditeurs du 21ème siècle conservent cette approche en est une autre. Nous somme ici face à un gros problème de société. Avec Tess d'Urberville, nous sommes en flagrante apologie de la culture du viol. Et ça c'est juste inacceptable.


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l'auteur
T H O M A S   H A R D Y 
1840 - 1928


Thomas Hardy nait d'une famille modeste en 1840 à Higher Bockhampton, bourgade dans le Dorset. Fils d'un père tailleur de pierre, c'est sa mère, instruite, qui lui fait la classe jusqu'à sa scolarisation tardive. Etudes qu'il arrête jeune pour devenir apprenti chez un architecte local. A 22 ans, il part à Londres étudier l'architecture où il se montre brillant. Les lettres, il les apprend tout seul, en autodidacte, avec un penchant pour la poésie latine. Les écrits de Charles Darwin lui font perdre la foi religieuse, un deuil qu'il portera toute sa vie. Se sentant rejetté de la bonne société londonienne, il décide de rentrer dans son Dorset natal à 27 ans. 

Il écrit d'abord des poêmes, sa forme préférée d'écriture. Il considère l'écriture de romans comme un gagne-pain. Il écrit son premier roman à 30 ans. Age auquel il rencontre celle qui sera sa première femme, Emma Gifford, sur le chantier d'une restauration.

Son premier grand succès littéraire, c'est Loin de la foule déchainée, publié en 1874. Suivront Le maire de Castlebridge en 1886, Tess d'Urberville en 1891 et Jude l'obscur en 1896. 

Ses romans fuient toujours la capitale londonienne pour prendre place à la campagne, dans une région imaginaire, le Wessex, reconnue comme étant le miroir de son Dorset natal. 
Homme avant-gardiste, il est connu pour son traité très moderne de la condition de la femme. Son rejet de la religion fait de lui un auteur sulfureux peu reconnu de son vivant, malgré le succès de ses livres parfois vendus sous le manteau. 

Tous ses romans s'appliquent à dépeindre les mœurs des gens de la campagne, à travers des êtres soumis à un destin implacable. La vie de l'auteur, longue et peu riche en soubresauts contraste avec celle de ses personnages, toujours en lutte contre leurs passions et les moeurs qui leur barrent la route. 

Thomas Hardy décide d'arrêter l'écriture après le scandale retentissant de son roman Jude l'obscur. Il se consacre à ses poèmes et à une grande épopée théâtrale, jusqu'à sa mort en 1928 des suites d'une pleurésie à l'âge avancé de 88 ans. 

Thomas Hardy tient aujourd'hui haut sa place au panthéon des auteurs classiques anglais. Il est autant étudié dans le milieu universitaire que lu pour le plaisir. 


conclusion

Un grand classique de la littérature anglaise qui ne déçoit pas. Un personnage féminin écrasé par la loi des hommes, qui résiste dans la dignité. Une lente déchéance inexorable qui prend aux tripes. Des thématiques au parfum du 19ème siècle. Tess d'Urberville, dans la lignée de Loin de la foule déchainée, dénonce la condition de la femme, à la lumières des réalités paysannes du 19ème. Bref, un classique qui résonne encore aux oreilles de notre siècle. A lire absolument.

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