Chez les heureux du monde ◆ Edith Wharton. Ascension sociale et idéalisme d'une jeune femme désargentée dans le New York du début du siècle

11 juil. 2020



S'il est bien un rayonnage sur lequel je ne me suis pas souvent attardée dans ma courte vie, c'est la littérature classique américaine. Hormis le Gatsby de Fitzgerald et les noms de la lost de la beat generation, on pourrait dire que je suis plutôt totalement inculte sur les mots des grands écrivains d'outre manche.

Aussi, à l'occasion du départ de ma copine de lecture à New York, je m'étais dit qu'il fallait corriger ça. Nous avons donc choisi pour notre séance de lecture commune The house of mirth (Chez les heureux du monde) d'Edith Wharton, un nom d'auteur que je ne connaissais pas (shame on me), mais qui avait terriblement bien été vendu par la booktubeuse Lemon June.

De prime abord, ça n'avait pas vraiment l'air d'être le genre de lecture qui me séduit. Des thématiques un peu vues et revues, un cible un peu trop féminine... Ça sentait le plongeon dans les clichés vieux siècles d'amour contrariés, qu'on croise souvent dans ces romans qui imitent sans égaler Jane Austen. Et fort est de constater que malgré la piètre inspiration du titre Chez les heureux du monde, la lecture valait carrément le détour !



résumé
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Le pitch : Lily Bart, célibataire de 29 ans, évolue dans les hautes sphères de l'aristocratie new-yorkaise du siècle dernier. Orpheline et désargentée, elle sait qu'elle ne peut compter que sur sa beauté pour se faire une place au sommet des grandes fortunes du pays. Le temps joue pourtant contre elle. Coqueluche des salons les plus en vogue, on a trop vu Lily Bart. Il est temps qu'elle cède la place, avant qu'on ne la perçoive comme une vieille fille. Mais pour s'établir le long d'un mariage réussi, calculs avisés et appuis de grands noms sont de mise. En acceptant d'aller boire le thé chez son ami, Lily commet pourtant la première entorse aux usages du monde.



avis perso
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Aux premières lignes, j'étais complètement de marbre. Agacée, je trouvais la lecture pénible et me sentais découragée par les petits caractère soudés en de longs paragraphes des 420 pages de ce roman.
Et puis, au détour de la cinquantième, quelque chose s'est opéré. Le roman a gagné en épaisseur, le rythme s'est posé, stable, et j'ai pu me sentir happée dans l'intrigue du roman.

Comme annoncé, on nous peint sur des pages et des pages la bonne société new-yorkaise des grandes fortunes américaines. Celles qui aiment se montrer dans les restos chic et n'ont pas la vulgarité de rester en ville lorsqu'il est de mode de passer la nouvelle saison à la campagne. 

Au milieu de cet univers qui court en circuit fermé, le faux pas est craint plus que n'importe quoi d'autre. Mais ce n'est pas une source de tracas pour Lily Bart. Belle, intelligente, elle sait tout ajuster chez elle pour qu'absolument tout le monde lui mange dans la main.

Lily est née dans le luxe. Sous le bon gouvernement de sa mère, qui n'a cessé de lui inculquer l'amour de l'argent, elle cultive ce goût naturel du luxe dont elle ne peut malheureusement pas se passer. Ce qui pose un relativement gros problème lorsque sa famille, ruinée, se retrouve complètement désargentée. 

Qu'importe. Lily Bart reste la célibataire la plus convoitée de la ville. Aussi, elle s'imagine sans problème accéder à un bon mariage. D'ailleurs, elle s'est mis en tête de convoiter Percy Gryce. Malgré le fait qu'il soit assommant d'ennui et plus farouche qu'un petit garçon.  

Le gros problème de Lily, c'est qu'elle aime l'argent. De manière viscérale. Et qu'elle n'imagine pas pouvoir vivre sans, quitte à faire une croix sur certaines de ses aspirations. Il y a pourtant autour d'elle d'autres options qu'elle ne peut que se résoudre à balayer d'un geste de la main, par amour du luxe.

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On imagine Lily calculatrice, manipulatrice, capable de mettre l'ensemble de toutes ses ressources au service de cette chasse au mari fortuné. On a pourtant tort. Il y a chez Lily bien plus que ça. Un certain idéalisme, un refus tenace de se laisser dévorer par les frivolités du système mondain. Une sincérité rare dans ce monde d'apparences.

Au fil des pages, il se livre chez Lily une véritable bataille. Sa répugnance à ses calculs, elle la doit notamment à son ami Selden. Le seul avec qui elle se sente en phase. Le meilleur époux potentiel, si ce n'est qu'il n'est pas suffisamment fortuné.

Tour à tour attendri, agacé, révolté, charmé et affligé de son personnage, on reste rivé aux coups du sort et à la mauvaise fortune de Lily Bart, une héroïne tout en contraste et en profondeur. 



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Chez les heureux du monde, c'est avant tout une peinture saisissante de l'aristocratie américaine. Dans tout son faste, son luxe, ses convenances et son oisiveté. Mais aussi sa cruauté, ses rivalités et ses jeux d'influence. 

Derrière tout ce faste et cette frivolité, les mots d'Edith Wharton sonnent comme un avertissement : voici l'envers du décor, la cruauté. Passez votre chemin. ( Ce que fit Edith Wharton en quittant New York pour s'installer en France). 

Le roman traite aussi l'indigne sort de toutes ces filles, condamnées à ne penser à rien d'autre qu'aux mariages et aux qu'en dira-t-on pour assurer leurs survies.

Outre ces sujets particulièrement intéressants, c'est avant tout le style de l'auteur qui fait de Chez les heureux du monde un grand classique de littérature américaine.
J'ai été très marquée par la plume de l'auteur, qui glisse, comme un ballet sur la feuille de papier. Dans ses dialogues, subtils et intelligents, dans la description des événements, parfaitement analysée et restituée émotionnellement. L'auteur a réussi à mettre des mots sur des sensations fugitives de tous les jours, que je n'avais jamais pu verbaliser.  


Quant au titre, sa version originale, The house of mirth, pointe plus l'aspect joyeux et sans soucis du milieu de Lily Bart.
Les heureux du monde le sont ils ? A cette question je rejoins l'avis de Lemon June. Oui et non. A travers l'histoire de Lily on comprend qu'il y a tout de cruel dans l'arène de préjugés et de coups bas où Lily est jetée en pâture. Mais au fil de ses difficultés financières, on comprend bien qu'un monde où le seul soucis de la journée se borne à se préoccuper de cartons d'invitation à une nouvelle fête est un monde beaucoup plus doux à vivre que le monde désargenté.




l'auteur
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Edith (Newbold Jones) Wharton nait à New York en 1862. Ainée d'une famille issue de la haute société newyorkaise, elle passe son enfance en Europe (Paris, Florence, Bad Wilbad) et ne rentre à New York qu'à l'âge de 12 ans. Adolescente, elle fait preuve d'intelligence et d'imagination précoces, écrit des poème qu'elle publie elle-même.

A 23 ans, elle épouse Edward Robin Wharton, issue du même milieu qu'elle, de douze ans son aîné. Un bien mauvais mariage qu'elle fit là : ils ne partagent aucun intérêt artistique ou intellectuel.

Après quelques publications dans des magasines, elle publie son premier roman à 43 ans, Chez les heureux du monde, dans le Scribner's magazine. Le roman rencontre un grand succès. Deux ans plus tard, Edith s'installe à Paris.

Au fil des années, elle fréquente des écrivains français tels que Paul Bourget, Jacques-Émile Blanche, Anna de Noailles, André Gide et Jean Cocteau, ainsi que plusieurs « grands de passage », tels que Henri Adams, Henry James, Theodore Roosevelt, Walter Gay, et rencontrera même Oscar Wilde.
En 1911, elle publie Ethan Frome, considéré par certains comme son chef d'oeuvre.

Peu de temps après, elle divorce d'Edward et retrouvant sa liberté, n'hésite pas à voyager et à écrire, quand elle n'oeuvre pas pour les blessés du front de la Première guerre mondiale. En 1920, elle publie Le temps de l'innocence, qui lui vaudra le Prix Pulitzer. Elle est la première femme à l'obtenir, de même que le titre de Docteur honoris causa de l'université de Yale.

Edith Wharton s'éteint en 1937 à à Saint-Brice-sous-Forêt, dans le Val-d'Oise.
A sa mort, elle laisse un dernier roman inachevé Les Boucanières, qui sera publié à titre posthume en 1938. Elle figure aujourd'hui en tête de liste parmi les plus grands écrivains américains.


conclusion
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Un bon roman à l'aspect trompeur, bien plus profond qu'il n'y parait, avec aux commandes une héroïne complexe, non superficielle, et franchement marquante. Sous les mots de l'incroyable plume d'Edith Wharton, on se laisse emporter par cette peinture au vitriol de la bonne société new-yorkaise du siècle dernier. Eternel dilemme : s'émanciper ou rentrer dans le rang ? 
In fine, Lily Bart, à la recherche d'or, ne se verra qu'offrir une cage dorée. La voudra-t-elle ou cédera-t-elle à sa nature profonde et éprise de liberté ? 

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