Le jeu de l'ange ◆ Carlos Ruiz Zafon, écriture & pacte avec le diable

20 août 2017






Terriblement emballée par L'ombre du vent, découvert quelques mois plus tôt, c'est tout naturellement que je me suis penchée vers la suite de la trilogie du Cimetière des livres oubliés, histoire de replonger dans les rues de Barcelone et d'essayer d'en percer l'épais mystère

Le jeu de l'ange, le tome 2 donc, ne poursuit pas chronologiquement les événements de L'ombre du vent et les deux romans peuvent se lire indépendamment l'un de l'autre, sans problème.


Hasard fortuit mais qui a son importance : A mesure de ma lecture, au détour d'une page où l'intrigue se monte en épingle, Barcelone est frappé par une vague d'attentats, celle qui terrifie l'Europe et le monde occidental depuis maintenant trois ans. Voiture folle qui s'en prend aux passants sur la Rambla, en ce mois d'Août où les touristes sont nombreux et les morts de toutes nationalité.

Une raison de plus pour faire front, se resserrer autour de Barcelone, en lisant et relisant l'oeuvre de Carlos Ruiz Zafon, son meilleur ambassadeur.




Le pitch : David Martin, enfant défavorisé dans la Barcelone des années 20 trouve refuge auprès des livres, prêtés par le gentil libraire de la boutique Sempere & Fils. De grandes espérances, le roman de Dickens, dicte sa ligne de conduite et David se voit offrir la chance de faire ses débuts dans l'écriture, depuis l'aide d'un bienfaiteur. Seulement voilà, à mesure que sa notoriété croit, le spectre d'un éditeur insistant apparait dans le paysage de sa vie. 

L'inquiétant Andreas Corelli attend de David qu'il lui écrive un livre, texte fondateur d'une nouvelle religion, capable de rendre les hommes aptes à mourir, à tuer et à se laisser tuer, en contrepartie d'une immense somme d'argent. A mesure que l'ombre anxiogène de l'éditeur plane sur les aspects les plus personnels de sa vie, d'étranges événements surviennent et David, qui comprend qu'il a chevillé sa liberté à l'écriture de ce livre, se demande s'il n'aurait pas sans le vouloir accepté de vendre son âme au diable.



Les thèmes
l'écriture ◆ le diable ◆ Barcelone ◆ l'émancipation ◆ le mystère 
 le souvenir ◆ les grandes espérances ◆ l'amour des livres




A l'image de son prédécesseur L'ombre du vent, Le jeu de l'Ange se dévore aussi vite. 

L'auteur a utilisé les mêmes ingrédients, ainsi que la même efficacité de son schéma gagnant : un enfant se retrouvant seul avec son père, l'écueil de la misère non loin de là, un bienfaiteur fortuné dans le paysage, une menace qui poursuit assidûment le personnage, une histoire d'amour impossible, un parallèle fait avec une autre affaire déroulée vingt ans plus tôt, des ennuis avec la police...

Si L'ombre du vent relevait plus du roman d'apprentissage, le sujet de la jeunesse n'est pas vraiment abordé dans Le Jeu de l'Ange. Le noeud du personnage cette fois-ci, c'est le processus d'écriture. Pourquoi écrire ? Pour qui ? Pour dire quoi ? Sur quel sujet ? Les tourments du personnages vis à vis de son talent d'écrivain nous emportent vers un tout autre univers, clairement celui des lettres et de ses rapports aux gens dans la réalité de la vie pratique.

La plume de l'auteur est toujours aussi magique. Sous ces mots, tout coule tel un ruisseau argenté capable de nous emporter n'importe où. Sa maîtrise de la langue est impressionnante et j'ai repéré quelques tournures de phrases d'une élégance à faire applaudir Balzac. Pour moi, les mots de Carlos Ruiz Zafon forment la passerelle entre la littérature classique et la littérature ordinaire.

La veine gothique très palpable dans ce roman, plus encore que dans le précédent, est très intrigante, bien menée et franchement délectable. Débarrassé de son contexte de répression franquiste, l'auteur peut se concentrer sur des thèmes plus chers au genre gothique. L'ombre noire, les portes qui claquent, les jeux de miroir, l'émergence de la folie, les brumes, les disparitions, les références à la mort...

J'ai aimé la description, l'horrifiante idée que quelque chose s'introduise et croisse à l'intérieur de soi. J'ai aimé le tout pouvoir des doigts de Corelli qui semble maitriser le temps comme les pensées et sans perdre de son panache avance lentement mais dangereusement vers son but.

J'ai adoré cet univers d'amour inconditionnel envers la littérature et les lettres.
Le vieux Sampere, qui estime qu'un livre c'est l'âme de son auteur ainsi que celle de tous ceux qui l'ont lu et ont voyagé avec lui.

J'ai adoré me balader dans les quartiers de Barcelone. La rambla, la plaça real, le parc Guell, le Raval,  le téléphérique de Montjuïc, le passeig del Born... Et de nouveaux endroits, pas toujours connu pour ma part. 

Les nouveaux personnages sont tout aussi fascinants que les précédents.

Mention spéciale pour Isabella Gisbert, la jeune rebelle aussi tête de mule qu'attachante, et à leur jeux de réparties, à sa détermination, à son grand coeur.

David Martìn, le narrateur de l'histoire, inspire la sympathie autant qu'il la rejette. Je l'ai parfois trouvé égoïste et franchement goujat (notamment avec Isabella et leurs insupportables scènes introductrice puant le machisme et le paternalisme). J'ai par contre apprécié ses méandres d'homme torturé tout comme j'ai aimé le voir se transformer en James Bond pour assurer sa survie.

Andreas Corelli, l'inquiétant éditeur, ses bonnes manières, ses dialogues et son côté incisif m'ont fortement intriguée et j'aimais tomber sur la terrifiante enveloppe de politesse trouvée sur le pas de la porte derrière laquelle se cache toujours la promesse d'une menace sourde.

Don Diego Vidal, la force tranquille, généreuse dans ses actes, a su me toucher, tant par son hypocrisie, sa vanité que par sa sincérité. 

Cristina Saigner, en revanche, est le personnage le moins fouillé du roman. On sait juste qu'elle et belle et porte la culpabilité de la condition féminine sur les épaules. A part pleurer elle n'aura pas fait grand chose et on peine à comprendre ses choix comme son importance.  

Retrouver la librairie Sempere m'a fait chaud au coeur. Je me suis prise à rêver qu'une telle librairie existait à Marseille, honnêtement. J'y passerai des heures tous les week end, si tel était le cas. 
Si au début j'étais persuadée que le fils Sampere était notre Daniel Sampere de L'ombre du vent, j'ai vite compris que la coincidence de père et fils seuls sans la mère (un thème très cher à Carlos Ruiz Zafon, qui l'utilise à outrance) en était une, et que ces deux Sampere-là étaient en fait le père et le grand père de Daniel.

Pour finir, un sacré flou artistique plane sur Le jeu de l'Ange. Corelli était-il Lucifer ? Quelle est la part de rêve et de réalité ? Je ne suis pas certaine d'avoir compris tous les tenants et aboutissants de l'histoire. Mais ce n'est pas ce qui compte, au final. Ce qui compte c'est d'avoir saisi l'âme du roman. Et ce fut le cas pour moi avec Le jeu de l'Ange.

J'ai personnellement beaucoup aimé la fin, assez inattendue, aussi improbable que triste et poétique. Tellement gothique, en somme.





Carlos Ruiz Zafon, petit barcelonais cinquantenaire, issu d'un père assureur et d'une mère femme au foyer, grandit dans l'amour des récits, qu'il se fait dans sa tête dès l'enfance. A l'adolescence, il monte un fanzine avec des copains, finalement censuré par le directeur, jugé trop sanglant. 
Cet amour du fantastique et du gothique, le suivra toute sa vie. A 14 ans, il écrit un roman de 600 pages, ses premiers essais sérieux d'écriture. Son bac en poche, Zafon se dirige vers la publicité, où il excelle de nombreuses années et connait l'aisance financière. Mais il sent bien que la pub n'est pas vraiment son truc. Il s'essaye à la littérature jeunesse et s'arrête rapidement. Son truc à lui, c'est le roman, clairement. 

Sa marque de fabrique ? Cette veine gothique et mystérieuse, qu'on retrouve facilement dans ses romans. 

C'est bel et bien L'ombre du vent et son cycle Le cimetière des livres oubliés qui le propulsent au sommet avec plus de 14 millions de livres vendus en Espagne et dans le monde. L'engouement est sans précédent. Récompensé par de nombreux prix, traduit dans une multitude de langues, Zafon aime à raconter à quel point son premier éditeur n'avait pas parié un sous sur sa pépite, jugée trop peu commerciale. 

Désormais auteur à succès, Zafon et sa femme s'installent à Los Angeles, où il s'introduit également scénariste, en parallèle de la rédaction de ses romans. Il partage désormais sa vie entre Barcelone et Beverly Hills. Carlos  Ruiz Zafon est aujourd'hui l'auteur espagnol (encore vivant) le plus lu au monde. 





Un franc succès, dans la lignée de L'ombre du vent. Le jeu de l'Ange est tout aussi prenant, baigne dans le même univers et tire son sujet d'ailleurs pour nous apporter quelque chose de plus. L'intrigue, toujours nouée autour d'un amour fou des livres et de la ville de Barcelone, est tout aussi envoutante. J'ai aimé les petites références, tellement ténues à L'ombre du vent, sans en suivre le chemin. L'univers gothique, la fière Barcelone et l'incroyable plume de l'auteur sont toujours aussi puissants, délectables. Bref, j'ai dévoré ces 536 pages avec beaucoup de plaisir. Il me tarde de poser la main sur Le prisonnier du ciel et Le labyrinthe des esprits.



 A Lire  
Marina (le roman chouchou de l'auteur)
- Le Cycle du Cimetiere des livres oubliés (L'ombre du vent / Le jeu de l'ange / Le prisonnier du ciel / Le labyrinthe des esprits)
- Le Cycle de la Brume (Le prince de la brume / Le palais de minuit / Les lumières de Septembre)

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