Chanson douce ◆ Leïla Slimani, le jour où la nounou a tué les enfants

10 oct. 2017





Chanson douce, j'en avais lu l'éloge un peu partout sur la blogosphère. Particulièrement indifférente au sujet abordé dans le roman, c'est l'écoute du podcast La Poudre, dans lequel Leïla Slimani se raconte, le temps d'un épisode, qui m'a convaincue. Et comment dire ? Leïla Slimani mérite infiniment le Goncourt 2016.




Le pitch : Paul et Myriam Massé, au sortir de leurs études, deviennent parents. Si l'enthousiasme exalté de cette nouvelle aventure les rend euphoriques, l'engouement retombe, face aux tracas occasionnés par les enfants. Au bord de la crise de nerfs, Myriam, désireuse de s'affranchir de son rôle de femme au foyer, décide d'engager une nounou. C'est au prix d'un casting sévère que leur choix se pose sur Louise, un peu moins de la cinquantaine, silhouette menue, les ongles toujours peints. Rapidement, Louise s'avère être une fée, transformant le quotidien de la famille. De ce nouvel équilibre, les enfants, les parents, et Louise elle-même puisent un nouveau bonheur. Qui aurait pu penser qu'au fil du temps, le piège de la dépendance mutuelle se refermerait sur eux, les conduisant jusqu'au drame ?

Les thèmes : 

le respect ◆ l'humiliation ◆ la bourgeoisie ◆ la pauvreté 
◆ le zèle ◆ la solitude ◆ la vie moderne 




" Le bébé est mort. Il a suffi de quelques secondes. Le médecin a assuré qu'il n'avait pas souffert."

C'est avant tout la forme qui m'a happée. Très immersif, le roman s'ouvre sur la scène du drame. 
En état de choc, personne ne comprend le geste de la nounou. 
Les pages suivantes ne seront que le récit des événements précédant la tuerie, de grands retours en arrière, chronologiques, où s'insère parfois le discret témoignage d'un personnage important de la vie de Louise, la nounou.

J'ai adoré le style d'écriture. Des phrases courtes, directes, incisives, tranchantes. Droites au but, et pourtant pleines de détails. L'écriture elle-même nous met sous tension. Nous touche aussi, par la lumière qu'elle sait projeter sur les gens, sur la vie.

Leïla Slimani se glisse avec talent sous la peau de ses personnages. Ses descriptions, qui n'en sont pas, saisissent avec beaucoup de finesse le portrait d'un personnage, d'une tendance sociale, d'une époque, dans sa beauté comme dans ses failles. 

Il s'agirait presque d'une enquête. Au fur et à mesure du récit, on guette quelques éléments avant-coureur, aussi infimes soient-ils, qui auraient pu annoncer le drame. Mention spéciale pour l'effrayante scène de cache-cache où Louise, à la limite de la psychopathie, est franchement effrayante.

En épluchant la vie de famille des Massé, on épluche celle du couple contemporain, affairé dans son travail, qui ne renie pas les heures supp, et brique sa carrière, à la contrepartie de déléguer les aspects triviaux de la famille à une autre. 

Ce fait, très contemporain, radiographié tour à tour par les yeux de l'institutrice, de la belle-mère et de la culpabilité maternelle, décline la palette de jugements dont tous se repaient, comme s'il leur appartenait de le faire.

Peu à peu, Louise se dresse en pilier de la famille. Gardienne des enfants, femme de ménage, cuisinière... Louise se plie en 4 et finit par occuper une place centrale. Elle est "celle qui tire les ficelles dans l'ombre".  

Petit à petit, la relation se détériore. On constate avec horreur, la condescendance du couple envers la nounou, que sa tendance au zèle finit par rendre écrasable.

Je n'ai pas bien compris le moment où tout a basculé. Les réelles raisons du pétage de plombs de Louise, même si on les devine, en demi-teinte. Cette femme docile, toujours le dos courbé, dont tous ont exploité la gentillesse, toute sa vie durant.

J'ai souvent soufflé à la lecture de ce livre, poussé des ohlala, très épidermiques. Pour telle injustice. Pour telle prétention. Pour ce petit détail, lugubre au possible, qui portait en lui la potentielle distorsion des choses, le moment annonciateur du drame à venir.

J'ai lu le roman en quelques heures. D'une traite. Sans recul. Sans réflexion. Les phrases m'y invitaient. M'entrainaient dans cette plongée hypnotique. Moi qui ai tendance à mépriser la vie domestique, avec enfants qui plus est. Je n'aurais jamais cru être intéressée par le récit de l'ascension et de la chute d'une nounou, dans le 10ème arrondissement de Paris.

Ce qui m'a intéressée, pour finir, dans Chanson douce, c'est la chair de ce roman. Ecrit en trois dimensions, il est si facile de voir les choses, comme si elles nous apparaissaient sous les yeux, et qu'on assistait, impuissants, à ce qui doit fatalement arriver.




Leila Slimani, naît au Maroc en 1981, d'un père marocain, banquier haut-fonctionnaire, et d'une mère franco-algérienne, médecin. Son bac en poche, passé à l'école française de Rabat, elle s'installe à Paris. Science Po, Hypokâgne, école de commerce pour compléter sa formation. Engagée en tant que journaliste pour le magazine Jeune Afrique, elle y traite de sujets touchants l'Afrique du Nord. Quatre ans plus tard, elle démissionne, et se consacre à l'écriture.

Son premier roman, Dans le jardin de l'ogre, (2014) très remarqué pour son sujet et son écriture, lui vaut les faveurs de la critique. Son second roman, Chanson douce, lui vaut le prix Goncourt et la propulse au rang d'écrivain. Femme brillante, Leïla Slimani s'attaque à un sujet qui fâche, la condition de la femme dans les pays islamisés tels que son pays d'origine, le Maroc. Son essai Sexe et mensonges : la vie sexuelle au Maroc, puis sa bande dessinée Paroles d'honneur, mettent en lumière les déchirements de la société où la femme ne peut être que vierge ou épouse. Leïla Slimani vient de refuser le poste de Ministre de la Culture du gouvernement Macron.


  

Un bouquin hypnotique. Où rarement la tension ne se relâche. Le processus narratif, intelligent, nous fait pénétrer d'emblée dans le drame. Il est le point de départ depuis lequel, remontant le temps, on assiste à tous les détails, les uns après les autres, qui menèrent à cette situation. Sans être un polar, sans pour étant répondre au nom de thriller, Chanson douce brosse le tableau de notre époque, dans sa complexité, sa cruauté et ses contradictions, propice à la critique sociale du Paris des années 2010. J'ai adoré le style d'écriture, incisif, percutant, avec des phrases courtes et subtiles, toujours très droit au but. A lire absolument.



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