Millénium : Tome 5. Où est passée Lisbeth Salander ? Pas dans le tome 5 en tous cas.

27 févr. 2018









Il y a des phénomènes littéraires qui nous happent. Série de plusieurs tomes qu'on dévore (la plupart du temps au mépris de nos heures de sommeil), des romans qui nous agrippent des jours, des semaines, des mois, des années. Ou toute une vie. 

Millénium, la série de polars suédois, était clairement de cette trempe-là. Avec son succès planétaire, ses millions d'exemplaires vendus dans le monde, ses adaptations réussies au cinéma et l'impossibiité dans une vie de n'avoir jamais croisé la couverture envoutante de ces tomes signés Actes Sud, il était difficile d'échapper au phénomène Millénium. Sans doute que la légende autour de son auteur, Steig Larson, y participait grandement : l'homme était mort sans avoir eu la joie de tenir son propre roman entre ses mains. 

Moi, j'étais tombée en pleine fascination pour Millenium. Lisbeth Salander fut pour moi un coup de foudre. Choc esthétique, émotionnel, corporel, symbolique, idéaliste, psychique... Tout. Lisbeth Salander, c'est tout. S'il ne devait en rester qu'une, ce serait elle. Lisbeth Salander, LE personnage du 21ème siècle, à mes yeux. 

Aussi, lorsqu'il y a trois ans les éditions Norstedts annonçaient reprendre le flambeau Millenium en mendatant un autre écrivain pour faire revivre Lisbeth Salander, le scandale avait été fait couler beaucoup, beaucoup d'encre. 

Millenium 4 : Ce qui me tue, paru en 2015, m'avait contre toute attente, séduite. J'avais trouvé David Lagercrantz à la hauteur de la tâche et me réjouissait de pouvoir renouer avec Millénium, une lecture dont j'aimais tant déguster les pages.

J'attendais donc, fébrile, septembre 2017 : la sortie du tome 5. Telle une acharnée, je me suis ruée en librairie pour l'acheter dès les premiers jours. Je savais pourtant que je ne lirais pas tout de suite.  

Je voulais y consacrer mon temps le plus parfait, exempt de tout projet et de tout travail inachevé dans ma tête et sur papier. Je l'ai donc observé pendant plusieurs mois sur ma table de nuit avant de m'autoriser à le lire. 

Et la déception fut rude. Vraiment rude.


Le pitch : Au lendemain de ses démêlés avec la police pour une cause noble, Lisbeth se retrouve derrière les barreaux. Incarcérée dans la prison de haute sécurité, elle y côtoie l'influence de Benito, la racaille locale dont le bras, foutrement long, fait régner la terreur sur de nombreuses femmes. Mikael Blomkvist, fidèle à leur duo, fait de son mieux pour lui venir en aide. Mais c'est la visite d'Holger Palmgren, son ancien tuteur, qui la chiffonne le plus. Il dit avoir retrouvé de nouveaux documents, susceptibles d'apporter un nouvel éclairage sur des événements difficiles de son enfance. Lisbeth, dont la mémoire ne fait pourtant jamais défaut, sent bien qu'un élément lui échappe. Et si elle n'était pas la seule victime des officines gouvernementales d'Uppsala ? 




En refermant les pages de ce roman, une impression de flou demeurait. Comme si j'avais flotté au-dessus de l'intrigue pendant tout le ce cinquième tome sans jamais parvenir à trouver une prise d'accroche pour m'y passionner. Je n'ai absolument pas compris ce qui s'est passé.

A vrai dire, j'ignore si j'ai raté mon rendez-vous avec ce roman ou si ce roman a raté son rendez-vous avec moi. Toujours est-il que mon tant attendu moment de lecture n'a pas été aussi vibratoire que ce que je l'espérais.


Une intrigue en poupées russes

L'âme d'un roman de Millénium, c'est bien souvent l'enchevêtrement d'une intrigue à tiroirs dont on aime dénouer les fils du suspens.

Fidèle à cette recette, Lagercrantz en profite pour aborder un certain nombre de sujets d'actualité. La fois d'avant, il était question d'intelligence artificielle. Cette fois-ci, on aborde la montée de l'intégrisme religieux, notamment islamiste, les failles du milieu carcéral, le système financier et la Bourse ainsi que les données personnelles et la confidentialité sur internet.

Avec le Tome 5, on oscille entre trois grandes lignes d'histoires : celle de Faria Kazi, celle de Lisbeth elle-même et celle de Dan Brody et de Leo Mannheimer. A laquelle se substituent d'autres intrigues subsidiaire: la sphère d'influence de Benito, la racaille locale, le devenir d'Holger Palmgren, le Projet 9 et les officines gouvernementales pas très nettes d'Uppsala, avec les affreux noms de Teleborian et Steindmann en tête.

Bref, on nage sous un tas d'intrigues. Pas toujours bien imbriquées les unes avec les autres, et ce qui aurait pu être foutrement intéressant part un peu trop dans tous les sens. Dommage.


Un style d'écriture moins travaillé

Autre mauvais point du roman : son style d'écriture. Moins appuyé, moins subtil que le tome précédent. Les dialogues, plus spirituels, s'arc boutent sur eux-mêmes et ne sont pas toujours crédibles. J'ai aussi trouvé certaines descriptions risibles plus que constitutives d'une ambiance.

Le style Larson n'était pas des plus inoubliables. Très journalistique, il portait en lui beaucoup de la neutralité de sa profession. Mais il avait l'avantage d'être efficace dans son registre.

Point de vue forme, Lagercrantz respecte le style Larson, avec des séparations en fonction du temps et non des actions des personnages. L'auteur garde aussi les majuscules des premiers mots de chaque récit dans le récit, la marque de fabrique Larson.

Des promesses non tenues

Pour ce Tome 5, il nous était promis du feu d'artifice. Rien qu'avec le titre, La fille qui rendait coup pour coup. Un nouveau cran franchit dans la fureur de Lisbeth Salander. Attachée au concept de vengeance qui jalonne les romans, j'avais trouvé ça jouissif. 

On nous avait aussi laissé comprendre, en concluant le tome 4 de cette façon et au vu de la double silhouette dessinée sur la couverture, que ce tome serait centré autour de Camilla, l'horrible soeur de Lisbeth.

Il était aussi question de fouiller encore une fois dans le passé de Lisbeth. On s'attendait à se laisser porter encore et toujours plus loin. Le passé traumatique de Lisbeth, c'est comme une cave à plusieurs niveaux. Quand tu penses avoir touché le fond, tu te rends compte que tu n'es qu'au sous sol N#1.

On devinait donc qu'il s'agissait du lien avec sa soeur qui serait exploré dans ce Tome 5. Et si on attendait bien une chose, c'etait qu'elle aille latter sa gueule à Camilla Zalachenko.

Spoiler alert : Elle ne rend aucun coup pour coup et Camilla, citée deux fois, n'apparait même pas dans le roman.

Quelle déception.


Une perte de puissance manifeste

Je pense que ce qu'on aime tant dans Millenium, c'est qu'on se prend des coups. Des prises de conscience, des uppercuts, droit dans la tête. C'est là, vrai sous tes yeux dans la vrai vie, c'est palpitant, c'est puissant, et ça prend aux tripes. 
On se sait jamais d'où ils viennent, on est incapable de les anticiper. Ils nous arrivent dans la gueule, avec la précision d'un coup de boxeur.

Avec David Lagercrantz, ce coup-ci on sent tout venir. Pas d'effet de surprise. Même si l'auteur sait très bien manier le suspens, avec quelques petites feintes et un bon rythme, il manquait dans ses lignes la signature Millénium. Il n'y avait pas la même révolte, pas la même violence, pas la même énergie. Ça ne vient pas des tripes, putain ! C'est pas viscéral. 


Des personnages secondaires très présents

Aspect nouveau mais pas inintéressant : l'arrivée massive d'une floppée de personnages qui ne sont pas là pour faire de la figuration.

Leo, Dan, Faria, Malin, Benito, Hilda, Rakel, ont tous une histoire à part entière sur laquelle l'auteur prend le temps de s'arrêter et de nous conter. Et le moins qu'on puisse dire c'est que c'est toujours intéressant.

On retrouve certaines têtes connues avec plaisir. Jan Bubanski, Dragan Armansky de Milton Security, Teleborian, Plague, Erika Berger et bien sûr Holger Palmgren. 

Le revers de la médaille, c'est malheureusement un défaut qui en découle. La présence de tous ces personnages donne lieu à un effet "histoire noyée dans la masse d'une autre histoire", qui a tendance à parfois faire céder le récit à la facilité narrative. 

Mais surtout, leur présence empiète sur celle de nos personnages favoris, ceux qui nous font renouer avec Millénium malgré tous les scandales : Lisbeth Salander et Mikael Blomkvist.

Salander et Blomkvist : des retrouvailles en demi teinte

La grande déception se retrouve malheureusement au niveau des personnages centraux. Millénium, c'est d'abord nos deux personnages favoris.

Lisbeth Salander et Mikael Blomkvist, qu'on se faisait un plaisir de retrouver, sont nettement moins pétillants. 

Noyés dans la masse des autres personnages, parfois presque ramenés au second plan, ils apparaitraient presque comme délavés.

On attendait patiemment leurs retrouvailles. Et on les imaginait plus chaleureuses. Erotiques, amicales, j'aime le fait qu'elles ne soient pas claires, leurs relations, à mi-chemin entre les genres, mais toujours sincères. En ça le Tome 5 ne nous aura pas plus avancés.

Blomkvist, qui a repris du poil de la bête, est de retour sur le devant de la scène. Je l'ai trouvé pourtant beaucoup plus électron libre que ne l'est son personnage, tenu par plus d'obligations soudainement disparues (le journal, sa fille...). Je ne le voyais pas vraiment au coeur d'une rixe de luttes féminines pour la gouvernance de son coeur, il me semblait plutôt être le genre d'homme libre qui multiplie les moments qui lui font plaisir dans le respect des sentiments de tout le monde.


Mais là où le bas blesse vraiment, mais vraiment, c'est autour de Lisbeth Salander.

Lisbeth n'est pas un super héros, justicier masqué qui pourfend le mal. Lisbeth c'est une militante, avec un sens aigu de la justice, qui entend bien la mener à se propre façon. Elle ne traque pas les hommes qui maltraitent les femmes pour leur porter secours. Elle leur lamine la gueule quand elle en croise sur son chemin.

Lisbeth c'est avant tout ce personnage aussi fascinant qu'incompréhensible aux réactions étranges et à la personnalité hors du commun. Si Lagercrantz avait réussi à la manier correctement le long des pages du Tome 4, fort est de constater qu'on ne peut pas en dire autant au sujet du Tome 5. 

Qu'en est-il de son syndrome d'Asperger ?
Lisbeth est beaucoup plus sauvage. Elle ne parle pas autant. Elle n'est pas aussi ouverte. 

Mais surtout, surtout. Lisbeth Salander ne ferait jamais un monologue dans une église sous les yeux d'une centaine de spectateurs, éloge funèbre ou pas... 




Sans attendre des milles et des cents de ce Tome 5, j'étais persuadée que j'allais passer un bon moment en sa compagnie. En marchant dignement dans les pas de Steig Larson, David Lagercrantz avait pour moi fait ses preuves avec le Tome 4 : Ce qui ne me tue pas et je n'avais pas de doute quant à la qualité de ce Tome 5.

Soyons honnête. J'ai passé un très bon moment de lecture. J'ai lu ces 400 pages en une seule journée : je ne pouvais plus m'arrêter. On a affaire à la plume d'un homme qui sait écrire des polars. J'ai frissonné, j'ai eu envie de tourner les pages, j'ai poussé des "oh", des "ah", des "ohlala". 

Seulement voilà, il ne s'agissait pas d'un simple polar noir publié chez Actes Sud. Il s'agissait de Millénium LE polar noir publié chez Actes Sud. Et en ce sens, Millenium 5 : La fille qui rendait coup pour coup n'est pas une réussite.

J'ai trouvé les personnages dépossédés de leur essence, notamment celui de Lisbeth. Si Lagercrantz parvient à peu près à manier Blomkvist, Lisbeth lui échappe malheureusement complètement. 

La trame du Tome 5, pas inintéressante, ne remplit pas les promesses attendues et il ressort après avoir fermé les pages de ce roman une impression plutôt confuse et brouillon d'avoir abordé peu de choses et ne pas les avoir approfondies.

J'ai trouvé le récit également plus manichéen. Le bien et le mal, au coeur des thématiques larsoniennes sont traitées de manière un peu simplistes, là où Larson parvenait à insuffler une dimension plus philosophique à son texte. Il y avait au beau milieu du chaos et de la violence une sorte d'optimisme pur, irradiant qui donnait confiance en l'être humain malgré tout.

Pour toutes ces raisons, je dirais que Millénium 5 : La fille qui rendait coup pour coup s'apparente à une certaine forme de trahison. Que faut-il penser de la tournure que prennent les choses ? Faut-il clore la série Millénium pour limiter la casse ? 

Une chose est sûre : je ne pourrais pas m'empêcher de lire le Tome 6. Il est dit que David Lagercrantz l'écrira, et que ce sera son dernier. Reste à savoir si l'aventure Millénium se terminera de cette façon ou si le flambeau sera de nouveau passé à un autre auteur. De mon côté, je ne pense pas qu'on puisse clore toutes les questions soulevées par ces romans en un seul tome. Affaire à suivre ! 


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