Mal de Pierres, plutôt mystérieux de par ce titre évocateur, c'est le genre de bouquin prenant dans lequel on se plonge facilement, et dont le dernier chapitre, comme un coup de big bang explosif, remet en cause tout le sens du roman.
Le pitch ◆ C'est l'histoire de ma grand-mère. Libre, éprise d'art, incomprise. On lui avait appris à ne jamais montrer de joie. Elle n'aspirait qu'à mordre la vie, qu'à croquer dans l'amour. Et pourtant, ce qui l'attend, c'est ce mariage arrangé, sans amour, et la vie qui en découlera. Trouvera-t-elle consolation dans ce monde où lui est refusé la découverte de l'amour, et où le sort l'accable du Mal de pierre, la maladie des calculs dans les reins, ceux qui brisent à chaque fois tous ses espoirs de grossesse ? Au fond, sait-on jamais tout de quelqu'un, aussi proche soit-on ?
Les thèmes :
l'amour ◆ l'art ◆ l'écriture ◆ la cruauté ◆ la famille ◆
la Sardaigne ◆ le Mezzogiorno ◆ la guerre ◆ la folie
J'ai aimé.
L'histoire. Boulversante. De cette femme, juste une "créature que Dieu avait faite à un moment où il n'avait pas envie des femmes habituelles en série, il avait eu une inspiration poétique et il l'avait créee" qui toute sa vie ne comprendra jamais "pourquoi Dieu poussait l'injustice à jusqu'à lui refuser de connaître l'amour, qui est la chose la plus belle et la seule qui vale la peine".
Le récit à la première personne et ses absences de noms. La narratrice ne se présente pas, et "ma grand-mère", "mon grand père", "mon père" sont les seuls patronymes attribués aux personnages. Original, audacieux.
Le style d'écriture. Précis, court, droit au but et pourtant très subtil. Richesse des mots, richesse dans la description des émotions. Avec quelques termes en italiens, qu'on ne prend pas même pas peine de traduire, pour la magie.
Le décor. Italie, Sardaigne. Les grandes plages, la vie rurale et la montagne, les produits de la ferme. L'extrême pauvreté de la première vague d'immigration sarde à Milan. Clivages à l'italienne en plein contexte d'après-guerre.
Les personnages. Epais, plein de substance.
La grand-mère, dite la folle, celle qui éprouvait intensément, toujours en quête de sensations, dont personne ne nourrissait jamais les attentes en répondant "tout s'est passé normalement". Mais ça veut dire quoi normalement , ça veut rien dire normalement, tu as bien du ressentir des choses, il y avait forcément des détails, c'était comment, parle moi de tes sensations ! Sourde oreille.
Le grand-père, gentil bougre un peu trop brut de décoffrage, qui aurait pourtant aspiré au bonheur, lui aussi ( particulièrement été marquée par les passages des Jeux sexuels des grands-parents, entre outrage, curiosité et plaisir).
Le Rescapé, passionné, passionnant, homme d'éducation, homme sensible, homme sensuel.
Le père, esthète, virtuose, qui n'avait pas levé les yeux de ses partitions le jour où Armstrong avait marché sur la lune et que le monde entier s'accrochait à son téléviseur.
La belle-grand-mère, rejetée par sa richissime famille pour avoir fait naître un enfant hors mariage, qui partait montrer à son enfant l'enceinte des murs luxueux de son sang, en lui répétant que jamais au grand jamais elle ne regrettait son choix.
La richesse des descriptions. Je n'ai jamais mis les pieds en Sardaigne. Et pourtant, je m'y croirais. L'auteur sait parfaitement trouver les mots pour rendre compte d'une atmosphère, et j'ai même appris des noms de plantes que j'ai croisé tous les jours dans mon paysage méditerranéen sans pouvoir les nommer.
La tristesse / mélancolie / nostalgie ambiante. A grand renforts de retours en arrière et d'ellipses, de réflexions entrecroisées, de morceaux de vie de générations différentes d'une famille italienne. Très réussi.
Et la fin. La fin ? Mais la fin... En quelques mots, ce roman prend un sens complètement différent à la dernière page. J'ai le coeur qui s'est serré, le souffle qui m'a manqué, et je crois que j'ai pleuré.
L'auteur, Milena Agus, soixantenaire italienne, prof d'histoire et d'italien, se découvre une passion pour l'écriture sur le tard et ne rencontrera le succès qu'avec Mal de Pierre, lauréat de nombreux prix en France comme en Italie. Connue pour ses aptitudes à faire chanter son amour pour la Sardaigne dans tous ses romans, c'est depuis la maison familiale de sa grand mère où elle vit toujours actuellement que ses romans prennent forment.
Un récit sensible, un roman bouleversant, injuste, avec le poids du temps qui ne guérit jamais les cicatrices. Ça résonne, c'est beau, c'est triste, c'est envoutant. J'ai vraiment aimé.
En bonus, quelques pages où l'auteur se confie sur son rapport à l'écriture et sa manière de l'aborder.
◆ Et la nostalgie, c'est de la tristesse, mais c'est aussi un peu de bonheur.
◆ Toutes ces pierres dans nos corps.
◆ D'après maman en effet, dans une famille, le désordre doit s'emparer de quelqu'un parce que la vie est ainsi faite, un équilibre entre les deux, sinon le monde se sclérose et s'arrête. Si nos nuits sont sans cauchemars, si le mariage de papa et maman a toujours été sans nuages, sij'épouse mon premier amour, si nous ne connaissons pas d'accès de panique et ne tentons pas de nous suicider, de nous jeter dans une benne à ordures ou de nous mutiler, c'est grâce à grand-mère qui a payé pour nous tous. Dans chaque famille, il y a toujours quelqu'un qui paie son tribut pour que l'équilibre entre ordre et désordre soit respecté et que le monde ne s'arrête pas.
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