L'an dernier, la sélection d'Octobre du club de lectureMS c'était fou, alléchant, pile poil dans la veine que j'aime : le roman gothique.
Parce que tout m'attirait et que peu voire aucun livre n'était réservable à la bibliothèque, j'ai eu la surprise de les trouver par hasard en occasion chez Gibert Joseph.
Le pitch : Sur les hauteurs des terres de Styrie, Laura, jeune fille sensible qui s'ennuie à mourir dans le chateau familial, est bien désapointée lorsqu'on lui annonce que le général Spieldorf, ami de son père, ne viendra pas lui présenter sa jeune nièce. Et pour cause : la chère amie qu'elle attendait de se faire vient de mourir dans d'étranges circonstances. Heureusement, le jour-même, la chance semble tourner pour Laura : des suites d'un accident d'attelage, une jeune autre fille, Carmilla, se voit confiée aux soins du père de Laura, pour un certain temps. Qui est donc cette Carmilla, aussi magnétique que mystérieuse, dont la sidérante beauté n'est pas sans rappeler l'image d'un vieux cauchemar à Laura ?
Les thèmes :
le vampirisme - le surnaturel - la peur -
la sensualité - le lesbianisme - le gothisme -
Carmilla, 1871, c'est le premier récit vampirique de l'histoire européenne, écrit et publié avant le mythe fondateur Dracula, par un petit irlandais du nom de Shéridan Le Fanu, connu pour avoir donné ses lettres de -presque- noblesses au genre fantastique en piochant dans les contes populaires irlandais pour point de départ de ses récits. Ainsi, le vampire qu'on a toujours associé à l'Europe de l'Est et à sa Transylvanie natale, nous viendrait plutôt du folklore irlandais, conformément à la nationalité également irlandaise de Bram Stoker, l'auteur de Dracula.
Carmilla c'est un court roman pas bien épais de 130 pages. Une petite heure de lecture en terrasse de café chauffée, ou bien au fond d'un fauteuil, entouré d'un gros plaid et d'une tasse de thé. A lire à l'automne ou en hiver, clairement. Un charme indicible entoure les pages de cette petite heure de volupté.
Tous les éléments du roman gothique sont là : l'époque victorienne, une grand demeure isolée, une héroïne aussi douce et mélancolique que naïve, une atmosphère inquiétante, des événements mystérieux.
J'ai été très surprise du manque de rententissement de Carmilla dans le paysage du folklore occidental. Je n'avais jamais entendu parler de son auteur ni de son roman, et c'est un tord qu'il aurait fallu réparer rapidement.
L'écriture, rédigée à la première personne sous les mots de la narratrice Laura, (dont le prénom n'apparait qu'une seule fois !) est simple et légère, sans être remarquable. Ce serait plutôt l'enchainement des événements, bien rythmés, qui ancre le lecteur à son roman et lui fait tourner les pages vers un dénouement aussi attendu que craint. De mon côté j'ai souvent regardé du côté de la porte en tressaillant à chaque craquement non identifié.
Si la lecture n'est pas surprenante pour le lecteur moderne qui, bercé du conte vampirique, voit arriver gros comme une maison l'identité du vampire, le lecteur victorien de 1871 découvrait sans doute avec effroi les attributs d'un monstre encore inconnu. Traces de morsures, teint blafard, devaient probablement terrifier les salons de la bonne société britannique.
Ici le vampire ne fond pas comme neige au soleil en présence de la lumière, apparait dans les miroirs et ne transforme pas ses victimes à la moindre morsure. Les codes sont différents, et il est toujours intéressant de recouper les descriptions du monstre, histoire de se figurer comment on est passés du Bal des vampires à Edward Cullen.
Si le roman, classé dans les fantastiques, porte avant tout le marque du surnaturel, en fin de compte, ce n'est pas tant le revenant qui hante son récit mais plus la puissance du potentiel érotique de la rencontre des deux jeunes filles. Carmilla, d'une beauté magnifiscente s'éprend de Laura, comme d'un bon nombre de ses victimes, toutes des jeunes femmes. Un souffle, des cils épais, une gorge, de la peau nue, c'est ténu, fin et subtil, et pourtant dominant dans le récit, au point qu'on se demande comment la censure a fait pour ne pas y voir le récit d'une idylle saphique.
Envoutante, hypnotique, l'amitié exaltée, resserrée des deux jeunes filles a quelque chose de fascinant, tant on sent qu'il peut entrainer l'une et l'autre aussi loin que vers la mort.
J'ai particulièrement aimé le traité de ce thème, l'homosexualité cachée de cette attirance indicible. Fantasme né d'une plume masculine, certes. Mais d'une plume qui, contrairement à la plupart des plumes masculines de son temps, ne traite pas les femmes avec condescendance ni légèreté.
Pour ma part, j'ai beaucoup aimé le dernier paragraphe qui nous laisse comprendre que Laura, bien des années après, craindra toujours le bruit de pas à l'orée du salon, pensant toujours reconnaitre celui de Carmilla.
Joseph Sheridan Le Fanu (1814-1873) nait à Dublin, dans l'Irlande qu'il ne quittera jamais. Fils d'une lointaine lignée de français huguenots, il grandit dans un milieu aisé et après des études de droit au Trinity College, il bifurque et embrasse une carrière de journaliste, au travers de laquelle il se tisse une carrière qui le mène jusqu'aux plus prestigieux journaux irlandais.
Le Fanu s'emploie à publier des recueils de nouvelles fantastiques par ci-par là, dès l'age de sa vingtaine. Passionné de sciences, il s'intéresse aux prémices de la psychologie et notamment au mesmérisme, qui influence énormément ses écrits. Marié, trois enfants, sa bonne situation le fait échapper à l'épidémie du mildiou et à l'âge de la Grande Famine irlanaise, depuis le quartier chic de Dublin où il aura pour voisins et amis les parents d'un certain Oscar Wilde.
A la mort de sa femme, Le Fanu prend la tête d'un des plus grand journaux avant gardistes d'Irlande en terme de littérature et d'idées et se consacre entièrement à l'écriture de romans. En 1864, Le Fanu publie ce qui sera considéré comme son chef d'oeuvre, Oncle Silas. Ecrivain prolifique, il est dit que son écriture influencera Conan Doyle, Bram Stoker et Edgar Alan Poe. Son dernier texte, Prêt à mourir, prémonitoire, apparaitra de façon posthume. Joseph Sheridan Le Fanu est aujourd'hui considéré comme l'un des auteurs majeurs de la littérature fantastique.
Un récit plein de charme, régenté par les codes du roman gothique, hypnotique et mystérieux. J'ai particulièrement aimé cette première présentation du vampire, à des lieues de la façon dont on se le représente dans le pop culture en 2017.
Roman irlandais de 1871, on ne ressent pas du tout la rigidité d'un récit daté où la femme oscille entre évanouissements et hystérie, comme le dépeignent souvent les romans du 19ème siècle, bien au contraire.
Pour son ambiance mystérieuse, sa délicate escalade vers l'horreur, et la puissance érotique de ses personnages féminins, Carmilla incarne un court roman qui vaut le détour. A lire en saison automne-hiver pour une meilleure immersion !
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