Marseille : Une journée printanière sur l'île du Frioul

14 mai 2020




Mars 2017. Premiers rayons de soleil en ce mois de fin d'hiver, la luminosité ambiante annonce l'imminente arrivée du printemps. Il commence à faire chaud, les manteaux atterrissent au placard. Ma copine d'outre-manche est de passage à Marseille. Elle craque un peu, aux prises avec ces jours de pluie qui n'en finissent plus à Londres, ça lui mine le moral. Avant, on y croyait pas à ces choses-là. Fort est de constater que ce mal existe. J'attends toujours de le ressentir, pour mieux le comprendre. Ici la lumière du soleil aveugle mes yeux bleus en toute saison et je souris les jours de pluie. Peut-être parce qu'ils sont si peu nombreux, ceci dit. Histoire de profiter de son passage sous les tuiles de Marseille, on a cherché à s'improviser un pique nique au bord de la mer, un réflexe de saison, une habitude bien de chez nous. Pour rendre le moment un peu plus "cerise sur le gâteau", j'ai proposé d'élargir nos horizons. Quoi de plus tentant que de s'offrir une journée sur les plages du Frioul ?

Le Frioul, je n'y étais pas retournée depuis mes cinq ans et demi, ou quelque chose du genre. Ici, la logique locale c'est un peu "le Frioul, tu l'as vu une fois, c'est bon maintenant. Y a que les touristes qui vont là-bas...". En tant que marseillais, on s'en moque un peu parfois du Frioul. On dit que c'est notre archipel paradisiaque au rabais. Il y a les Caraïbes, les Seychelles, la Guadeloupe. Et nous on a le Frioul, la version low coast.

Absurdités. A l'image de Marseille, ville longtemps abandonnée à elle-même, ses îles qui brisent la ligne d'horizon le sont d'autant plus. On pense à dire aux gens qui visitent Marseille d'aller au Frioul et au Chateau d'If. On ne pense jamais à y aller nous-même. Cette année j'ai voulu réparer ça. Les conditions n'étaient pas des plus idéales (rapport au fait qu'une algodystrophie s'est installée dans ma cheville), mais la curiosité et l'envie de se faire du bien l'ont emporté ce jour-là.



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Le bateau se prend sur le vieux port, au niveau de l'ombrière. Frioul If Express, difficile à rater.
La traversée dure environ un quart d'heure. Les vagues sont au rendez-vous une fois qu'on a dépassé la digue. Comme toujours, le paysage est magnifique et le plaisir de cette petite virée en bateau franchement savoureux.

Etonnement, on croise de nombreux visiteurs, sur le bateau comme sur l'île, un jour de semaine et hors saison. Des touristes, des habitués, des vieux, des jeunes, des solitaires, des groupes d'amis. A ce que je vois le Frioul n'a pas perdu de sa réputation de curiosité locale.

Le bateau propose un crochet systématique par l'île du Château d'If. La visite du château, qui avait plus largement marqué mes souvenirs d'enfance, s'effectue pour 6€ aux horaires accordés {ici}. Rendu célèbre par son Comte de Monte-Cristo, le grand roman à succès d'Edmond Dantes, le fort d'If jouit d'une réputation mondiale. Ce jour-là, jour de grand vent, on a pas pu faire d'escale au château d'If : la bateau ne s'y arrêtait pas.

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L'île du Frioul recèle d'un petit quelque chose de désolé, parfois un peu inquiétant, avec le vent qui siffle dans les amarres des bateaux. Des tas de bâtiments en friche jalonnent la côte. Le sentiment d'abandon de l'île prend parfois le dessus. On se dit que c'est un peu sinistre. Et franchement stupide, car le cadre et l'espace sont privilégiés. On monte des plans sur la comète, comme toujours entre créatives. On épilogue sur ce qu'on ferait du Pavillon Roche si la ville nous en confiait les clés. Après tout, tant de lieux ont été habilement réhabilités à Marseille depuis 2013, année de la capitale européenne. Mais les fonds européens ne sont pas passés par là, et le Frioul mériterait franchement de se refaire une beauté.

La virée au Frioul n'est clairement pas la virée urbano-chic-arty qu'on pourrait penser.
Rien de bohème : que du sauvage. Plutôt sac de rando que panier à pique-nique vintage.




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Parce qu'on cherchait une petite crique rien que pour nous, on a faussé compagnie à la masse de visiteurs descendus du bateau en s'aventurant sur les chemins qu'ils ne prenaient pas.
Nous sommes donc parties du côté Ratonneau de l'île. Suivant le panneau de l'hôpital Caroline, on s'est installées dans la calanque Saint Estève d'où certains interstices entre les rochers nous protégeaient du vent.

Aux quelques heures à lire, discuter, ramasser des coquillages se sont succédées deux petites balades assez succinctes, (en raison de mon algodystropfuck, bien-sûr) le long de la pointe Nord de l'île.

Parce qu'on a mal calculé notre temps, on a raté le bateau de retour qu'on voulait prendre. La visite s'est donc prolongée involontairement sur le versant d'en face.


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Puis nous sommes tombées sur une plage constellée de méduses mortes, des dizaines de méduses violettes échouées. Parce que deux cerveaux branchés art ensemble ça fait des étincelles, on en a ramassées une dizaine qu'on comptait conserver dans du formol ou mouler dans de la résine pour en faire un presse papier.
Breaking news : une méduse morte dans un tupperware au bout de cinq jours ça a juste complètement fondu et ça sent le cadavre des marrées creuvé depuis Magellan.

17h, le soleil décline, il fera bientôt nuit. Ce coup-ci, on campe sur l'embarcadère, histoire d'être certaines de se trouver à bord de la prochaine traversée. Et puis le bateau nous ramène sur la côte. Ballotées par le vent, aux lueurs du soleil couchant, nos yeux s'émerveillent, injectant plus de magie à cette journée déjà divine.


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P R A T I Q U E 
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Prix de la traversée : 11€, l'aller-retour.
Les horaires sont fixes, toutes les 1h30 hors saison environ. Ils sont consultables en ligne { ici }


  • Compter un bon moment pour visiter l'île entière. Nous, en une demi journée, avec une algodystrophiée de la cheville droite, on en a fait qu'une petite partie
  • Il y a beaucoup de vent sur l'île alors qu'il n'y en a pas forcément en ville. Si possible préférer plutôt une saison légèrement plus chaude.
  • Prévoir de quoi se couvrir chaudement, malgré la chaleur du soleil. Pull, écharpe et grosse veste.
  • Ne pas trop compter sur les "restaurants" ni sur les "magasins" : hors saison, ils sont simplement tous fermés.
  • On trouve des toilettes publiques au niveau de l'embarcadère.
  • Le tips idéal : préférer visiter l'île à l'époque d'éclosion des oeufs de mouettes (avril-mai). L'archipel en étant rempli (elles sont même intimidantes quand on pénètre sur leur "territoire"), on dit que ça vaut vraiment le coup d'oeil.
  • Attention à la problématique des cheveux longs en mer. Il est plus que nécessaire de les attacher, même si "on ne dirait pas que". Inutile de raconter les dégâts le soir de l'équation cheveux fins + vent + eau salée. Temps de démêlage ? Plus d'une heure entière ...


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J'ai adoré renouer avec le Frioul. J'y retournerai à présent plus régulièrement, c'est certain. Mes potes de fac (des Aixois pour la plupart) avaient pour habitude d'aller y passer une journée au bord de la plage. J'étais perplexe, à l'époque. Aujourd'hui, je me rends compte qu'ils avaient bien raison.

En fin de compte je trouve absurde ce regard condescendant sur le Frioul. Peu de villes peuvent se targuer de pouvoir compter dans ses arrondissements une île accessible par bateau en si peu de temps. Le dépaysement facile, accessible et pour une poignée d'euros. La journée idéale.

On a raison de dire que ce sont souvent les touristes qui savent le mieux mettre en valeur la ville. Il règne dans la pensée marseillaise une sorte de marasme écrasant que je ne m'explique pas, un conformisme de masse, un anti-épicurisme absurde. Bref, les marseillais feraient mieux de redécouvrir leur ville leurs îles.

Déambuler sur l'île du Frioul en tant que marseillais, c'est un plaisir supplémentaire. Les deux pieds fermement ancrés au sol, il y a dans l'atmosphère quelque chose d'extrêmement familier et en même temps de radicalement différent. Le bleu de la mer, l'habituelle couleur du calcaire, les massifs de fleurs se mélangent pour composer la trame d'un des plus beaux tableaux que l'on peut faire de notre chez nous.

Et pour parachever l'extra dans le presque ordinaire, depuis les hauteurs de l'île du Frioul, la vue sur Notre Dame de la Garde. Face à cette vue, un sourire qui se dessine instinctivement sur nos lèvres.
On est forcément fiers. Fiers d'être marseillais.

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