{ coup de coeur } La vie des autres, sur écoutes au temps de la RDA et du soupçon

28 févr. 2017










La vie des autres était au programme du ciné plein air à Marseille, cet été. Pour des raisons indépendantes de ma bonne volonté, je l'avais raté, alors que le pitch m'avait fortement intriguée. Comme parfois les choses sont bien faites, quelques semaines plus tard, ce film oscarisé de 2006 était diffusé sur la TNT. Comment te dire à quel point je ne regrette pas le voyage ?


Le pitch : 1984, Berlin, RDA. De ce côté du mur, la vie des gens, rythmée par le contrôle de la STASI, se borne à marcher droit, pouvant être inquiété à tous moments le long d'innombrables interrogatoires pratiqués par ces hommes en uniformes, qu'on peut croiser partout, qui veillent, tels des corbeaux attendant de fondre sur leur proie. Pour le poète Georg Dreyman, dernier dramaturgiste libre de RDA, il n'est pas question de prendre parti, ni d'oser mettre un pied dans la politique. Il y a pourtant chez cet homme des Arts quelque chose qui perturbe l'agent Wiesler, zélé limier de la STASI. Déterminé à le faire tomber d'une façon ou d'une autre, il le fait placer sur écoute, prenant en charge lui-même l'opération. De jour comme de nuit, pendant des semaines, des mois, Wiesler observe, écoute, pénètre l'intimité du poète et de sa femme, se fond dans la vie des autres.

Oscar du meilleur film étranger. César du meilleur film étranger. BAFTA et Golden Globes.

Un film allemand. C'est rare, les films allemands, et ça parle souvent de la guerre 39-45, cette plaie ouverte dont ils ne se sont toujours pas défaits, les allemands, même des décennies plus tard. Cette fois-ci, il s'agit toujours bel et bien de guerre, mais plus la même. La guerre froide.

Pour qui connait Berlin, l'ancienne fracture RDA / RFA n'est pas tant visible que ça. Des bouts de mur, check-point Charlie, le musée de la RDA et c'est tout.

La vie des autres n'a rien d'un documentaire comme pouvait l'être l'autre grand film sur le sujet Good Bye Lenin ! Ici la RDA n'est que le décor, le prétexte pour raconter l'histoire. Car il s'agit avant tout d'un film sur le soupçon.

Rythmé le long d'une musique lancinante, ce sont des instants de vie organisés autour d'une filature, où le spectateur est le témoins direct des deux faces d'une même pièce. Et nombreuses sont les fois où tu t'écriras des "Haaaaaaaaaaaaaaaaan !!!"

Je retiens le rythme feutré, la façon subtile d'intéresser le spectateur, qui finit par se prendre au jeu de l'affaire, déchiré entre les deux parties adverses. On observe un homme qui observe un couple, au son d'une musique lancinante.

J'ai trouvé ce travail de bande son remarquable, d'ailleurs. On pourrait presque dire qu'on comprend le film par la musique.

La vie des autres porte en lui l'horreur du régime soviétique, dans ses mécanismes les plus subtils.
Un sujet qui me touche personnellement, puisque ma famille a vécu deux bonnes décennies sous le joug du communisme stalinien en URSS. Je me rappelle des récits de ma grand tante, qui du côté français, percevait bien l'angoisse de ses frères enfermés en URSS, qu'elle essayait par tous les moyens de faire revenir en France. Je me rappelle de ce climat de méfiance et de peur contante.
Les kommonalka, dans lesquelles mon père a grandi, auront toujours quelque chose d'aussi effrayant que fascinant pour moi.






Le film aborde aussi la question du suicide, une pratique courante dans ce pays liberticide, où les suicides furent si nombreux, qu'ils cessèrent d'être comptabilisés pendant plus de dix ans.

Acteurs et personnages sont au top de leur performance. Ulrich Mühe, qui porte à lui seul le tout sur ses épaules, livre une prestation incroyable, en incarnant cet agent zélé de la STASI. Voulant voir d'autres films de lui, j'ai été extrêmement peinée de savoir qu'il n'a pas survécu à son cancer. Décédé peu après avoir porté l'oscar, il n'aura pas vraiment eu le temps de gouter à sa nouvelle notoriété artistique.

J'ai beaucoup aimé ce personnage, Wiesler. Le premier de la classe, le bûcheur, l'homme carré, irréprochable, impeccable, le lion, le redoutable. Qui de par sa droiture, se laisse monter dessus par les autres hommes du parti, beaucoup moins scrupuleux.
Son travail, c'est tout ce qu'il a, et il entend bien le mener avec brio. Sinistre, les gens se désintéressent de lui et quelques plans séquences témoignent de sa solitude dans son appartement lugubre.
On sent chez lui une espèce de sadisme, un froid glacé, un dévouement corps et âme à l'idéologie socialiste. La répression, il a ça dans le sang, ça ne le dérange pas. Il croit dur comme fer à la justice de ce qu'il fait.

J'ai beaucoup aimé son basculement. Lorsqu'il comprend, peu à peu que non, le système socialiste russe est tout sauf juste. Lorsqu'il comprend qu'il commence à s'attacher aux gens qu'il espionne. Lorsqu'il choisi, à visage découvert, d'aller prêter main forte au couple dans un de leurs moments charnière. Lorsqu'il décide, horrifié par la réalité, de fausser tous ses rapports.

Il faut dire qu'avec des témoignages comme ceux-là, on se demande comment pendant des années on a bien pu prêter gloire au système socialiste russe, liberticide au possible, où tout repose sur le contrôle, et où chacun vit dans la peur constante.

Le verdict de mon père, avec le recul, né en URSS l'année de la mort de Staline, qui y vécu 12 ans avant de pouvoir s'échapper en France, est le suivant : "L'idéologie socialiste russe était noble. C'est juste la façon de l'administrer qui n'a pas marché."

Bref, une superbe réflexion sur le sujet, un thriller aussi glaçant que subtil mais surtout une aventure humaine abordant des faits historiques, dans toute leur cruauté et tout son désenchantement. A voir absolument. 

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