{coup de coeur} La collection Courtauld, le parti de l'impressionnisme à la fondation Louis Vuitton

22 mai 2020



Il y a un an jour pour jour, j'étais à Paris, dans la file d'attente pour la Fondation Louis Vuitton, un jour de pluie. Je m'efforçais de n'éborgner personne en ouvrant mon parapluie, je lisais Manet, le secret de Sophie Chauveau, debout presque une bonne heure, malgré ma cheville fragilisée. Je ne me doutais pas que cette journée se graverait si bien dans ma mémoire, ni que j'y repenserai si nostalgiquement l'année d'après, depuis les horizons serrés de ce temps du confinement.

Il s'agissait d'une des expos événements de la saison. Et je ne pouvais décemment pas rentrer dans le Sud sans avoir vu ses (é)toiles. J'ai eu la chance de l'attraper de justesse. Deux jours plus tard, elle se fermait au public. Petit récit d'un moment de grâce et de foi en l'humanité.




L a   f o n d a t i o n   L o u i s   V u i t t o n


Au panthéon des monuments plus ou moins récemment sortis de terre, la fondation Louis Vuitton, que pour ma part je n'avais encore jamais visité. Situé au beau milieu du bois de Boulogne, elle est accessible en 10 min de marche depuis la ligne 1 du métro. Ce qui impressionne de prime abord, c'est évidemment l'architecture futuriste du lieu.

Au beau milieu d'un écrin de verdure émerge un voilier de verre et de béton, semblant voguer vers des contrées lointaines. Bâtiment sur 4 étages- avec un rooftop très sympa offrant une vue bluffante sur la Défense- l'architecte Franck Gehry (le Gugenheim à Bilbao, la Philharmonie de Los Angeles, la Maison dansante de Prague) a doté son édifice d'une magnifique structure aérienne, organique, avec des couleurs claires et des baies vitrées.

Centre d'art contemporain du groupe LVMH destiné à pérenniser ses actions de mécénat, la Fondation Luis Vuitton soutient activement l'art contemporain avec 11 galeries sur trois niveaux consacrées à des oeuvres d'artistes reconnus (Soulages, Yayoi Kusama...) et d'autres moins connus. Chaque année le musée offre à voir au public deux expositions temporaires, une moderne et une contemporaine.

Objectif inavoué pour Bernard Arnault (le N#1 de Louis Vuitton) : concurrencer le Palais Grassi, fameux centre d'art de Venise de François Pinault, son grand rival. 

Pour se faire, le groupe LVMH compte sur ses grandes expos, telles Olafur Ellisason : Contact (2015), Jean-Michel Basquiat et Egon Schiele (2018) (que j'ai raté putain de sa mère la PUTE) , et la dernière en date, La collection Courtauld, le parti de l'impressionnisme.




M o n s i e u r   C o u r t a u l d,   l e   p h i l a n t h r o p e


Samuel Courtauld (1876-1947), industriel anglais aux origines françaises huguenotes, fait fortune dans le textile au début du siècle, grâce à l'innovation technique, la viscose, textile synthétique proche de la soie à bas coût. Homme de bon goût, il épouse Elizabeth Kelsey, éprise de musique, qui partage également son amour de l'art.

Les mariés se resserrent autour de cette passion de l'art et mettent un point d'honneur à organiser les plus belles soirées londoniennes de leur temps, accueillant entre leurs murs une grande partie de l'intelligentia de l'époque.

Convaincu du rôle de l'art dans la société, les Courtauld vont former un de ces couples philanthropes de la haute société britannique, qui aimait à se montrer dans les années folles. Acheteurs compulsifs, ils voyagent, explorent et se mettent à collectionner tout particulièrement les toiles impressionnistes et postimpressionnistes qu'ils ramènent depuis leurs séjours à Paris.

Sur les murs de leur sublime demeure neo-classique les grandes fortunes européennes découvrent ces toiles françaises et le nom de leurs peintres. Manet, Cezane, Renoir, Degas, Seurat, Gauguin, Van Gogh, Monet... Des noms pas toujours connus outre-manche.

Esthètes, les Courtauld se lancent dans un vaste projet : le partage de la culture.
Utilisant leur notoriété pour faire entrer en resonnance l'art impressionniste et la postérité, ils n'hésitent pas à faire don d'un fond privé à la National Gallery, lui permettant d'acquérir les oeuvres impressionnistes aujourd'hui joyaux du musée londonien accessibles gratuitement aux visiteurs. 

Elizabeth Courtauld se place au centre d’une politique culturelle de démocratisation de la musique classique. Elle organise des concerts à bas prix et fait venir la crème des musiciens et compositeurs internationaux (Stravinsky, Schnabel), réservant les premières places aux groupes scolaires et salariés aux revenus modestes.

A la mort de sa femme, Samuel Courtauld fonde l’institut Courtauld en 1932 pour faire de l’art une discipline d’enseignement, discipline jusque là inexistante dans les cursus universitaires. Aujourd'hui l'Insitut Courtauld, branche universitaire reconnue pour son excellence, forme de nombreux experts du monde de l'art, dont les actuels dirigeants du Tate, de la National Gallery, du Victoria and Albert Gallery mais aussi du Metropolitan Museum of Art de New York. 




L a   C o l l e c t i o n   C o u r t a u l d


La collection Courtauld, réunit donc 62 peintures ainsi que 45 oeuvres graphiques signés de la main des grands maîtres de l’impressionnisme : Manet, Renoir, Cézanne, Degas, Monet, Van Gogh, Seurat, Gauguin.

Elle vit à demeure à Londres, entre les prestigieux murs de Somerset House où les touristes n'ont pas l'habitude de se précipiter. Le musée ayant fermé ses visites pour cause de rénovation de ses salles, la collection Courtauld a traversé la Manche pendant les travaux, pour le plus grand bonheur du visiteur français.

J'ai adoré, adoré, a-do-ré cette exposition. Je l'ai trouvé tout à fait particulière. Peut-être était-ce du à cette journée de pluie, ce temps volé par la débrouille pour partir à la rencontre de ce nouveau temple de l'art, à son cadre incroyable entre de beaux murs et en pleine forêt. Toujours est-il que j'ai trouvé qu'il émanait de cette exposition une sorte de vibration unique : l'impression floue de très bien connaître ses tableaux, pour les avoir vus de nombreuses fois sur des cartes postales, livres d'art et documentaires, sans pour autant se rappeler quand. A 5 ans ? à 11 ans ? à 16 ans ?

Profondément ancrés dans ma culture de l'image sans que je puisse me l'expliquer, j'ai déambulé dans l'expo le long d'une certitude absurde que ses toiles m'étaient familières, tout en sachant très bien que non, je ne les avais jamais vues en face de moi, nous n'avions jamais partagé l'intimité d'un espace et n'avions jamais rien vécu ensemble. 

J'ai été saisie, secouée, émue par la richesse de ce panel artistique, le long de ce parcours habilement scénographié. Quelle beauté, quelle fierté, quel. Elle est mythique et elle m'a transcendée, la collection Courtauld. A la fondation Louis Vuitton, j'ai pleuré pour la première fois devant un tableau. Un tableau que je n'aimais pourtant pas spécialement sur papier, mais La loge de Renoir m'a traversée tout le corps lorsque je me suis postée devant. J'avais ce visage extatique, ce regard embué et fasciné qui m'ont valu des regards suspicieux de la part des vigiles de longues minutes.

Dans les autres salles, j'ai découvert certaines facettes des artistes impresssionnistes que je ne connaissais pas. Comme les magnifiques gravures sur bois de Gauguin, au rendu graphique et terriblement contemporain. 

Et si Renoir ne m'avait jamais émue jusqu'ici, je vis la même expérience avec Cezanne, qui me bouleverse avec son Homme à la pipe, un tableau qui me happe, m'attire comme un aimant, que je ne peux pas ne pas regarder, dont je n'oublierai jamais l'éclat.





c o n c l u s i o n 


Une exposition dans la lignée des grandes expositions parisiennes qui justifient un séjour dans la capitale. Entre les murs très racés du musée, c'est dans l'écrin d'une forêt abritant elle-même l'écrin d'une architecture que se sont déployées les plus belles formes picturales de notre culture française, témoins d'une de nos époques les plus brillantes. 

La force de ces toiles m'aura émotionnellement kidnappée et je serais sortie de cette exposition sonnée, très impressionnée et à la fois apaisée, tellement rassurée car beaucoup plus confiante en l'être humain, cet être capable d'une telle synergie de chef d'oeuvres, passerelle entre le 19ème et le 21ème siècle. Dans cette chaine d'efforts d'hommes et de femmes, du peintre au passionné, au philanthrope, en passant par les intellectuels et l'homme d'affaire qui ont tous oeuvré pour que ce que l'art a de plus haut me parvienne à moi, simple petite marseillaise, je vois clairement ce que l'humanité sait faire de plus beau. 

Je prête désormais toute ma confiance à ce lieu, dont je surveillerai à présent toujours les programmations. J'aurais vécu entre les murs de la fondation Louis Vuitton, au contact de cette exposition, une sorte d'éclat visuel, un sentiment de pure extase, bref, un fort moment d'émotion dont je me souviendrai longtemps.





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