Deux ans : Lettre ouverte à l'algodystrophie

25 juil. 2017









Aujourd'hui ça fait deux ans. Deux ans que tu t'es infiltrée dans mon corps sans me le demander, deux ans que tu t'imposes dans mon quotidien, deux ans que tu règnes en maitre incontestable sur mes envies, mes émotions et mes projets.

Je t'ai haï tout de suite. Dès le premier jour de notre rencontre. Pour la sonorité de tes syllabes, qui sent si fort le handicap et le lit d'hôpital, pour ses racines greco-latines équivoques, qui m'indiquaient violemment la teneur du problème, pour le silence préoccupé dans la bouche des médecins une fois le diagnostic posé.


Je n'aurais jamais cru devoir te supporter deux ans. On m'avait dit que c'était l'affaire de six mois, et j'avais chialé parce que c'était trop long six mois de douleur et d'impatience. Mais deux ans... C'est tellement long, deux ans, quand on est si loin de soi, si loin de sa vie.

De ses deux années passés à tes cotés, je retiens ces mois allongée comme un cadavre à fixer le plafond, ces moments où le mot douleur n'a plus de sens car plus rien d'autre qu'elle n'existe, ces nuits tremblantes sur un lit d'hôpital, en milieu hostile au beau milieu des étages où la mort vient rôder, la rage au fond du coeur, dissimulée, le sourire surfait pour rassurer tout le monde. Je retiens ce corps qui s'est tordu, qui a crié, qui m'a échappé, qui a subi, qui a contesté. Je retiens ce poids qu'il a du encaisser grâce à la violence des médicaments allègrement prodigués par la médecine occidentale qui sous couvert de boucher des trous en creuse souvent d'autres, je retiens les dérèglements du foie, des reins, de la salive. Le dos meurtri, les cheveux ternes et tombants, le genou heurté dans le processus, le poignet qui se serre, les sourcils qui creusent une ride, celle de la désolation.

Je retiens ce sentiment, face au miroir, de se sentir étrangère à son propre reflet.

Je retiens cette sensation de faiblesse. Le vrai sens de ce mot, dans toute son horreur. La faiblesse...

Je retiens la soudaine richesse, celle de mon vocabulaire pour décrire la douleur qui s'est élargi, et ma tolérance à l'adversité qui s'est raffermie.
Mais je retiens surtout l'impuissance. L'incroyable force de ce sentiment d'entrave, de cette absence de liberté.

Il faut que tu saches que j'ai essayé de t'accepter, Algodystrophie. Mais sans succès. T'es trop pute. Trop cruelle. Trop féroce. On ne se ressemblera jamais. On a rien en commun, rien à se dire. Et j'ai cette fierté sans doute un peu puérile de ne pas courber la tête devant ta suprématie, de ne pas ployer le genou devant tes envies de dominance.

Toute forme de dialogue rompu entre nous, j'ai tenté tour à tour de t'apprivoiser, de te laisser ton propre espace, de t'ignorer, de t'accorder toute mon attention, de chercher à te comprendre, de prêter attention au message que tu essayes de me délivrer.
Mais t'aimer, non. Je n'ai pas pu. C'était au dessus de mes forces.

Heureusement, je sens que tu perds du terrain. De jour en jour, très imperceptiblement, tu t'affaiblis, et je me renforce.

Car je me refuse à passer une troisième année en ta compagnie.

Alors je le dis, là, maintenant, tout de suite. Je t'en conjure, vas t'en. S'il te plait. Rends moi ma vie.



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1 commentaire

  1. Bonjour,
    Votre lettre m'a émue. Je suis sophrologue récemment installée et en constituant mon site web, je m'applique à écrire des sujets qui me touchent, qui touchent mes patients, mon entourage. En faisant les recherches adaptées, en recoupant les informations, en partageant des témoignages. Parce que savoir que l'on n'est pas seul peut rassurer à défaut de soulager.
    Me permettez-vous de présenter votre site à la fin de mon article ?
    Merci de votre retour.
    Bien à vous.
    Stéphanie Maindive

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