Turner et la couleur, à l'hôtel de Caumont, centre d'art

10 sept. 2016







Turner et la couleur, c'était l'exposition événement de la saison, dans la région. A ne rater sous aucun prétexte. Pour des raisons évidentes, c'est péniblement que je me suis shootée à l'opium au Lamaline triple dose pour pouvoir me rendre au Château Caumont à Aix-en-Provence.

Mr. Turner




Je me souviens avoir découvert Turner au Tate britain. J'avais 15 ans et n'était pas forcément très réceptive à cette avalanche de peintures académiques dans de grandes salles poussiéreuses. Et pourtant ce tableau de tempête avait illuminé ma visite. Gravés dans ma rétine, les ciels de Turner. Pour ses couleurs, pour le romantisme de ses brumes, mais surtout surtout pour l'effet de lumière, saisissant, prêt à jaillir hors de la toile au milieu de tout ce néo-classisme ronflant.

Turner, c'est bien souvent des grands formats. Ce qui amplifie nettement l'effet lumineux, dynamique, des sujets saisis par le peintre, toujours des paysages ( Turner n'a peint que peu de portraits ). Initialement maître du courant romantique, il s'en émancipe et laisse tomber ces codes pour faire évoluer sa peinture vers quelque chose de nouveau, d'encore inédit au 19ème.

Turner eut du succès de son vivant. Quelque chose de rare dans la peinture à l'époque (bon ok, toujours maintenant). Homme au caractère excentrique, traité comme un fou et/ou un pestiféré, l'histoire retient ses relations difficiles avec ses contemporains et son audace picturale.

Il fait ce qu'il veut, Turner. Il emmerde le monde. Il emmerde la morale, la critique, la bienséance, et même l'Angleterre.

Il prend son carnet, le premier bateau qui passe et il va dessiner. Turner voyage. Encore et toujours. Dans toute l'Europe. Des jours, des semaines, des mois. Il n'emporte avec lui que ses couleurs aquarelle et ses toiles, ses huiles, il les peindra chez lui dans son atelier, d'après mémoire.

On dit de Turner qu'il serait celui qui aurait préfiguré l'impressionnisme, la toile de base du mouvement étant l'Impression au soleil levant de Monet, avouée directement inspirée des travaux de Turner.

Peintre inclassable, singulier, corps et âme consacré à sa peinture, scandaleux, moqué si bien que jalousé par ses pairs : un homme moderne, en somme. Et un homme libre.
Ce qui en fait un personnage passionnant en plus d'un artiste d'exception, pour toutes ces raisons.

Aussi, voir des toiles d'un peintre aussi grand, atypique et reconnu de par le monde dans la région, c'est en soi assez surprenant. Mais ce qui l'est d'autant plus, c'est l'envergure de l'exposition aixoise. Des prêts exceptionnels du Tate de Londres, des prêts du Turner Contemporary de Margate, deux des foyers les plus riches en toiles de Turner au monde, surtout lorsque l'on sait que les Turner ne sortent pas souvent du sol britannique (et qu'à cause du Brexit, il est à prévoir que les britishs auront encore moins envie de prêter leur toiles).

Turner & la couleur : l'expo 




L'exposition retrace assez bien l'évolution dans le travail du peintre, le passage de l'académisme à l'impressionnisme. Toujours avec la couleur comme fil conducteur, la scénographie nous présente également la vie de Turner, qui n'eut jamais à faire face à des difficultés financières et voyagea tant qu'il le put, lorsque la fin des guerres napoléoniennes le lui permirent.

Je me suis penchée avec beaucoup d'intérêt sur les études documentaires du peintre. On avait cette discipline à accomplir, à l'école d'art, et c'était loin d'être ma préférée la plus facile. Dans son paon, sur ses poissons, on décerne déjà chez le peintre un semblant de mépris des contours, et cette attention accrue pour la couleur, la délicatesse de son travail sur le papier pour la rendre au plus près de sa réalité, à la variation de teinte près.

J'ai tout particulièrement apprécié de voir de mes yeux un set de palettes et boite de couleurs ayant appartenus au peintre. Loin de nos malettes de gouache en plastique en promo chez Cultura dès le premier rayon du soleil, les boites de couleurs au 19ème, c'est un véritable objet d'art et de maroquinerie. Emballé dans un délicat porte feuilles à lacets, on imagine aisément Turner ainsi que les peintres de l'époque, tirer l'objet de leur gabardine puis le replacer soigneusement dans une poche.

J'ai aimé la partie consacrée à la gravure, une problématique de taille à l'époque, à laquelle je n'avais jamais été invitée à réfléchir. En expliquant les techniques de gravures utilisées dans l'Europe du 19ème (à distinguer des technique de l'estampe japonaise, pratiquée à la même époque outre mers), son caractère incontournable dans l'impressions des ouvrages écrits de l'époque, on comprend bien l'importance de la qualité du rendu et pourquoi Turner, peintre de la couleur, était si pointilleux et si engagé dans la réalisation des gravures noir et blanc reproduites d'après ses tableaux.

J'avoue m'être peu intéressée à ses peintures du début. Académiques, inspirées des grands maîtres, malgré mon amour pour le courant romantique, ces scènes aux reflets "encore et toujours l'antiquité" m'ont laissée de marbre.

Ce qui m'a fascinée, c'est les aquarelles de petit format sur du papier de couleur. Papier bleu, papier gris, les teintes étaient bousculées, atypiques, et pourtant si harmonieuses. Le travail est fin, délicat, à la limite de l'abstrait. Je les ai contemplées longtemps, les aquarelles de Turner.

Et puis ses huiles. Inoubliables. On pose un pied dans l'abstraction, pour certaines toiles. J'ai aimé cette audace. Et puis ses teintes. Très rouges lorsqu'il s'agissait de ses peintures de nos paysages, entre Marseille, Aix et Sisteron. Très noires, brunes, soutenues pour ses paysages plus nordiques.

Parce que mon imaginaire est friand d'images, j'ai superposé aux textes explicatifs les images du film Mr. Turner, avec la dégaine et l'attitude de Timothy Spall, tout au long de l'expo. J'avais en tête son air dédaigneux lorsqu'un autre peintre s'approchait pour lui dire que ses toiles devenaient floues.

Epopée picturale des plus réussies, le parcours proposé par l'hôtel Caumont rend compte avec élégance du phénomène Turner, personnage charnière de l'histoire de l'art, de sa très personnelle interprétation de la peinture jusqu'aux problématiques rencontrées pour un peintre à l'aube des querelles relatives aux théories de la couleur.

Bref, une très belle expo, somme toutes pas donnée mais très raisonnable de par sa qualité, digne des expos parisiennes, un peu dans la lignée de celles qui tiennent lieu à Pinacothèque. La visite guidée est très certainement à privilégier.

L'hôtel Caumont, affilié à Culturespaces, le groupe qui gère aussi les Carrières de Lumières des Baux de Provence et le sublime musée Jaquemart André à Paris, se pose comme un gage de qualité et si comme moi tu as déjà suivi une visite guidée à Jaquemart André, tu sais à quel point elles sont bonnes. D'ailleurs qui vois-je à la caisse de la boutique ? La guide qui avait admirablement conduit la visite guidée sur Les fêtes galantes, de Fragonard à Watteau, à Paris.

Seul bémol ici :  la très anglaise et absurde interdiction de prendre des photos. Frustration extrême.

Après son passage à Aix, c'est à Margate, au Turner Contemporary que l'exposition s'installera, du 8 Octobre 2016 a 8 Janvier 2017.


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L'hôtel Caumont 



Mr. de Caumont c'était le petit marquis le plus riche de la région. Fieffé parleur, il se targua d'avoir épousé la plus belle noble de Provence, Pauline de Bruny, fille du baron de La Tour d'Aigues, héritière de son château (tu sais, là où j'adore faire les vide greniers) et d'en habiter la plus belle demeure, l'hôtel particulier de Caumont. 

Le bâtiment.

Construit dans le quartier aristo d'Aix-en-Provence, d'après la tendance parisienne du XVIème,"entre cour et jardin", c'est un bel édifice très récemment restauré (2015), classé Monument Historique, qui abrite le Caumont Centre d'Art.

En dehors des deux étages dépouillés, consacrés aux expositions, l'hôtel Caumont, c'est surtout une grande cours avec des portiques à carrosses en fer forgé, un hall avec escaliers aux rampes en fer forgé aussi, un salon dit de musique avec clavecin et la chambre à baldaquin de Pauline la pute Caumont.

Le café.

Une belle définition de la magnificence, concrètement. Immense, aménagé tel un boudoir, la pause gourmande n'est pas négociable, sous peine de passer à côté de quelque chose. La beauté des lieux est à couper le souffle, et le sourire du serveur n'y est pour rien dans l'histoire. Grandes salles à thèmes, hauts plafonds, ambiance Versailles, on a enfin trouvé un concurrent redoutable à la franchise parisienne Angelina.
Desserts à se pamer, tartes exceptionnellement gouteuses, chocolat chaud de dingue (oui, oui, même en été, sans hésiter)...
Un restaurant s'y accole, avec terrasse dans le jardin pour les soirées d'été. Luxe, calme et volupté à prix passablement abordables.

La boutique.

Incontournable. D'une richesse mémorable, tu peux y faire le déplacement uniquement pour ton shopping déco. Outre les habituels combo cartes / livres et revues / objets floqués à l'effigie de l'expo, une collection d'accessoires, de supports et colifichets s'affiche sur les étalages, d'une beauté sans pareil. Dans un style "Marie-Antoinette" très moderne, si tu aimes bien l'histoire, le design, la Provence et les galanteries, tu seras servi et je te mets au défi de ne rien acheter dans cette caverne d'Ali Baba bien rangée.


caumont centre d'art aix en provence turner et la couleur Cezanne


La parenthèse Cézanne




Diffusé plusieurs fois par jour dans l'auditorium, c'est un court métrage de 30 min particulièrement bien conçu qui complètera ta visite du Caumont Centre d'Art.

Pas d'obligation d'être admirateur de sa peinture pour apprécier le film, il n'est pas tant construit autour de son art, c'est plutôt les grands axes de sa vie qui sont très joliment racontés.

"Avec une pomme, je veux étonner Paris !"

Très bien rythmé, le film, écrit comme un biopic, retrace la vie de Paul Cézanne, de ses premières années de peintre jusqu'à sa mort, surpris par la pluie au pied de la Sainte Victoire.

J'ai aimé cette foule de partis pris cinématographiques comme les face à face à la caméra, très bien amenés, très bien dosés, l'accent provençal à couper au couteau de l'acteur, le choix du format court, les lieux où s'appuient les décors, que je connais bien sûr très bien.
Les éléments de sa vie personnelle, racontés subtilement, ajoutent un plus très prenant au film, comme ses rapports compliqués avec son père, sa femme et son fils, ses amitiés avec Zola et Renoir...

Le film axe son propos sur la relation que le peintre entretien avec la région aixoise. L'un des seuls impressionnistes à ne pas s'être installé à Paris, préférant airs et lumières de Provence. Y sont mises en avant la propriété au Jas de Bouffan, l'atelier des Lauves, les carrières de Bibémus, en plus de ses points de vues fétiches sur la Sainte Victoire.

D'une beauté et d'une poésie à couper le souffle, sous fond musical du Cygne de Saint Saens, je me suis sentie franchement touchée par "Cézanne au pays d'Aix"et me suis félicitée de m'être attardée sur ce visionnage, chose que je ne fais jamais en tant normal dans les musées.

Cézanne était l'impressioniste qui m'interessait le moins, rapport à son désengagement parisien, en plus du fait qu'on a soupé de ses peintures sur des vieilles toiles cirées de grand mères depuis qu'on est petits ici en Provence. Ce court métrage éclaire pourtant le peintre d'une lumière différente, au point de me faire réviser totalement mon jugement.

Réalisation Antoine Lassaigne / Direction de la photographie Eric Turpin / Bande annonce : ici


  L I E N S  

- 3 tableaux de Turner que vous ne reverrez pas de si tôt en France

- Turner et la couleur, à l'hôtel Caumont 

- Mon Turner préféré : Fort Vimieux.

- Le film Mr. Turner : ici




Turner et la couleur. 
4 mai 2016 - 18 Septembre 2016

Caumont centre d'art – 3 rue Joseph Cabassol, 130100 Aix-en-Provence 

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