Ma cousine Rachel ◆ Daphne du Maurier, jeu de dupe et de masques à l'époque victorienne

30 janv. 2018




Daphne du Maurier, je n'en avais jamais entendu parler avant de m'inscrire au club de lecture Mango and Salt. Un auteur classique que je méconnais, ce n'est pas courant. La sélection de Mars nous avait conduit à la lecture de son premier livre, L'amour dans l'âme, que j'avais plutot détesté peu aimé. Mais ce tapage autour de ce roman du même auteur, Ma cousine Rachel, poussé par l'élan de l'adaptation cinématographique sortie cet été, m'avait fortement intrigué. Il n'en fallait pas plus pour m'attirer dans ses pas et autant te dire que je ne regrette pas du tout l'effort.





Le pitch : Phillip Ashley, jeune héritier du comte Ambroise Ashley, sa seule famille, salue le départ de son cousin pour la Méditerranée, qui vient chaque année y passer l'hiver pour des raisons de santé. Quelle n'est pas sa surprise lorsqu'il croise à Florence l'italienne Rachel, leur cousine éloignée. Très vite, le charme opère et le vieux garçon épouse la cousine Rachel, au grand désarroi de Phillip, aussi jaloux que déstabilisé. Et puis, les nouvelles s'espacent, le retour d'Ambroise repoussé de mois en mois, semble ne jamais survenir. Plus inquiétant : sa dernière lettre fait mention d'un tourment, d'un changement de comportement chez la cousine Rachel. 


Les thèmes :

la féminité ◆ la cupidité ◆ le couple 
 la maniputalion ◆ le mariage ◆  l'Angleterre victorienne




Plus de 300 pages, écrit petit, avec des marges très fines : au premier chapitre, j'ai cru que je ne viendrai jamais à bout de Ma cousine Rachel. Phrases emberlificotées, vocabulaire désuet, ça contrastait fort avec l'enfilade de romans contemporains que je m'étais enchainée ces dernières semaines. Et pourtant, j'ai dévoré Ma cousine Rachel en quelques jours. 

Très vite, on accroche aux mots de l'auteur et à la trame de l'histoire. Qu'est-il arrivé à Ambroise ? Comment se fait-il que dès les premières pages, on pressente qu'une catastrophe va monter tout ce beau monde en épingle ? 

J'ai particulièrement aimé l'atmosphère de ce roman. Daphne du Maurier instaure une atmosphère fine et subtile, aussi légère que lourde, où le sens des choses nous échappe et nous intrigue. Un peu gothique, à mi-chemin entre les soeurs Brontë et Jane Austen, il s'agit avant tout d'un roman psychologique, qui traite de l'ascendant que les uns peuvent exercer sur les autres, du refus de l'amour et du manque de clairvoyance auquel il peut conduire. 
A travers cette histoire d'amour et de manipulation, c'est tout un mystère, un flou brumeux qui se donne à démêler, sur fond de tension psychologique permanente. Le lecteur observe, pressent, déduit, s'inquiète.  

Récit à la première personne, le style d'écriture de l'auteur est fluide, agréable. Le génie de Daphne du Maurier, c'est le rythme. Peu d'action dans tout le roman, et pourtant les choses se passent et s'enchainent, ferrant le lecteur le long de ses mots.

Les personnages sont très réussis, tant les principaux que les secondaires. Phillip, Rachel, Ambroise, le trio de tête, Louise et Mr Kendall, les forces positives, Rainaldi, l'ombre au tableau, et Seecombe, John, Wellington et tous les valets, sans oublier les détestables de la famille Pascoe. Même la tante Phoebe, pour le peu qu'elle apparait, est pleine de saveur !

Le personnages principal, Phillip, jeune homme mal dégrossi n'ayant pas souvent approché de femme, est de prime abord aussi sot qu'agaçant. Son orgueil, ses manières, sa balourdise, en font une victime toute choisie, prête à être mangée toute crue par la cousine Rachel. La sympathie pour ce personnage, pourtant narrateur de l'histoire, ne coule pas de source. On compatie plus à son sort, qu'on voyait venir gros comme une maison, qu'on ne le plaint, ses erreurs de jugements l'emprisonnent dans une image de faiblesse dont il n'est pas facile de se défaire. 

Au fil des pages, Phillip ressemble de plus en plus à Ambroise, dont l'ombre plane sur tout le roman, à qui il a toujours rêvé de ressembler. J'ai aimé cette mise en abîme, clef de voute de toute la richesse du roman. 

Mais le personnage central de l'histoire, c'est bien évidemment la magnétique Rachel. On ne peut que se prendre de passion pour elle, magistrale dans son rôle de femme-serpent. J'ai adoré sa duplicité, sa façon d'être, sa finesse d'esprit, ses manières. Tour à tour adorable, impulsive, cruelle, charmeuse, 
le masque qu'elle revêt a quelque chose de terriblement parfait. La voir en changer juste au bon moment avec cette habileté magistrale rendrait presque admiratif.

De mon côté j'ai beaucoup aimé le personnage de Louise, la plus lucide du roman, qui, du prisme de ses sentiments pour Phillip, flaire d'emblée de jeu l'arnaque. J'ai aimé son dévouement, malgré le sort peu agréable qu'il lui est réservé, son passage sous silence, la façon dont elle est traitée quantité négligeable. 




D A P H N É   D U   M A U R I E R 
(1907-1989)


Daphné Du Maurier nait en 1907. Issue d'une famille aisée, londonienne aux lointaines origines françaises, est fille d'acteur et petite fille d'écrivain. Elle emboite le pas de leur réussite en se penchant sur l'écriture de L'amour dans l'âme dès l'âge de 18 ans, publié quelques années plus tard. Sa carrière d'écrivain se confirme avec le succès de son roman le plus connu, Rebecca, qui lui assure la gloire, salué par les ventes comme par la critique.

 L'auteur se marie et enfante, conformément aux attentes de son temps et suit son mari dans les colonies britanniques où elle s'ennuie et attend impatiemment le retour au pays. Suivront un grand nombre de romans, tous des succès littéraires dont trois d'entre eux inspireront les films d'Alfred Hitchcock. Le très célèbre Les Oiseaux, issus d'une nouvelle de l'auteur, La taverne de Jamaïque et Rebecca. L'auteur finit sa vie en Cornouailles, région qu'elle affectionnait particulièrement, où elle mourra. Femme résolument moderne et passionnée, elle fut anoblie par la reine Elizabeth II. Sa renommée posthume parle d'une femme libre, évoquant sa bisexualité. 







Déception pour l'adaptation filmographique. La bande annonce qui nous promettait un grand film, laisse carrément sur sa faim. Les acteurs sont pourtant bien choisis (l'incroyable Rachel Weisz, et mon Jorah Mormont forever, Iain Glen pour ne citer qu'eux), les décors et les prises de vues très réussis, mais que dire de la mise en scène sinon qu'elle est complètement ratée ? Maladresses, manque de rythme, manque d'épaisseur...

L'acteur Sam Claflin campe parfaitement le rôle de Phillip, jeune homme fougueux, agaçant et mal dégrossi, réussissant à nous attirer plus de sympathie que le personnage du roman, parfois un peu trop rustre.

Rachel Weisz, du haut de son talent, n'arrive pourtant pas à irradier toutes les facettes de la cousine Rachel, plus rayonnante et plus solaire dans le roman. La Rachel du film, bien que toute en nuance et fidèle au roman, recèle d'une fragilité trop marquée à mes yeux.

Seecombe, que j'imaginais moins grincheux et moins campagnard n'est pas non plus réussi à mes yeux. Seuls Louise et Mr Kendall s'en sortent avec un panache ainsi qu'une présence supérieure à celle du roman.

Bien que j'ai trouvé intéressant l'axe du film, qui s'article autour de la question Rachel est-elle coupable ou ne l'est-elle pas ?, je ne suis absolument pas rentrée dans le film, n'ai pas du tout été transportée dans cette Angleterre victorienne, campagnarde et gothique comme je l'avais été pour Loin de la foule déchainée, qui m'avait vraiment envoûtée par exemple.

Pour finir, l'interprétation que donne le film du roman diffère de la compréhension que j'en avais eu, donnant lieu à un dénouement plus ambigu, moins clair, plus flou et plus agaçant pour ma part.

Bref, bien que l'adaptation soit plutôt fidèle au roman et fait en sortes de bien lui rendre hommage, s'il ne devait en rester qu'un, je te conseille de passer ton chemin sur le film pour ne conserver que le plaisir du roman, hautement plus qualitatif.




Un très bon roman extrêmement prenant, dont on ne s'explique pas la recette ! La plume de Du Maurier, simple en apparence, recèle de subtilités posées au bon moment. J'ai adoré son intrigue, la finesse et la subtilité de son traité, la tension psychologique constante au coin de chaque page. Ni thriller ni roman d'apprentissage, Ma cousin Rachel nous plonge au coeur d'un dangereux jeu de masques, sous fond d'Angleterre victorienne. Pour ma part j'ai vraiment pris beaucoup de plaisir à cette lecture, infiniment plus que lors de L'amour dans l'âme, où toutes ces qualités manquaient. 


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