De grandes espérances ◆ Charles Dickens, désillusions & cruautés d'un récit d'apprentissage

15 août 2021

De grandes espérances - Charles Dickens


Un roman que j'avais envie de lire depuis un bon moment, intriguée par son titre et sa résonance si contemporaine. Et si je me rappelais la très belle adaptation de la bbc en mini-série sur Arte avec Douglas Booth, seul un souvenir de froideur, de trouble final m'était resté en tête. C'est donc avec grande hâte que je me suis attaquée à ce grand classique de la littérature anglaise, mon premier vrai Dickens, si on exclue les extraits de textes lus à l'école primaire et les contes de Noël. 




résumé

Le pitch : Pip, petit orphelin recueilli par sa soeur, vit sous les brimades dans ce foyer aussi peu aimant que modeste et rural. Une rencontre fortuite dans les marais avec un forçat évadé va pourtant le pousser à commettre un méfait dont il n'a pas le temps de se repentir : Melle Havisham, vieille dame riche des alentours, s'est mise en tête de chercher la compagnie d'un enfant qu'elle souhaiterait "voir jouer". 

Pip, pressentit pour le rôle, pénètre donc les hautes sphères de l'aristocratie, et son petit monde qu'il avait toujours affectionné jusqu'ici lui parait soudain trop étroit, franchement crasseux et même honteux. Résigné à devenir apprenti forgeron comme il l'était convenu depuis toujours, il a désormais d'autres gouts sur la langue, et conscience de la médiocrité de son destin. Jusqu'à ce qu'une chance inouïe se mette en travers de sa route : Pip devient l'heureux bénéficiaire d'une fortune, dont le légateur, souhaitant rester anonyme, envisage de prendre son éducation en main. Il deviendra un gentleman et la famille, le village, les avocats, ont tous ont désormais pour Pip de grandes espérances.


Les thèmes 

le revers de fortune  l'apprentissage  l'ingratitude  la cruauté  la misère sociale  l'aristocratie  l'Angleterre du 19ème siècle  la réussite sociale  l'espoir  les désillusions 



avis perso


Difficile d'avoir les mots pour rendre justice à un tel roman. Foisonnant, intelligent, sensible, haletant, De grandes espérances fait partie de ces classiques qu'on se relaie de génération en génération, et si ce n'est pas par le biais du roman original, c'est par le biais de nombreuses adaptations qui ont fait entrer le récit dans la pop culture (coucou l'épisode de Southpark qui y est consacré). Bref, le titre n'est étranger à personne, et la plupart de ceux qui n'ont pas lu le roman connaissent tout de même l'histoire.

Pour autant, De grandes espérances n'a pas été le coup de coeur que j'attendais, même s'il l'a frôlé. Chez Dickens on est plus dans la réflexion que dans le ressenti, ce qui n'est pas nécessairement désagréable, mais m'a plutôt déstabilisée, plutôt encline à aimer les récits qui vibrent d'émotions. Ici, on a du mal à faire corps avec les personnages, avec l'histoire, qu'on vit tout s'en tenant toujours un peu en retrait. Mais c'est pourtant cette distance, ce recul qui rend les choses intéressantes. Car De grandes espérances est un de ces romans marquants, qui restent longtemps en tête et qui mérite bien son titre de chef d'oeuvre, ne serait-ce que pour la richesse, la finesse et la densité qui jalonnent ses 700 pages.

La plume évidemment est magnifique, précise, imagée, extrêmement qualitative. Un récit à la première personne, où l'on suit Pip de son enfance à l'âge adulte, ce qui permet à l'auteur de déployer une sacré palette de tons : sagace, humouristique, satirique, enthousiaste, intimiste...

Difficile de ne pas se prendre d'affection pour ce petit personnage. Pip, diminutif du prénom Phillip, est un de ces petits garçons aux yeux brillants d'intelligence, qui semble dénoter au milieu des siens. Peu chanceux dans la vie, promis à un avenir misérable, le cadeau qui lui est fait, la grande bifurcation que prend son destin, c'est ce brusque argent, inattendu, ce brusque virage qui le mène vers d'autres cimes. Cimes qui lui feront porter de grandes espérances. Mais peut-on vraiment faire confiance aux grands destins tels qu'on veut bien nous les nommer ?

J'ai bien-sûr beaucoup aimé les personnages. Tous apportent quelque chose, paraissent palpables, faits de chair et admirablement brossés. Le couple Gagery : l'impitoyable et autoritaire soeur abimée par la vie, Joe son mari, le forgeron aux manières simples, quasiment illéttré, mais au coeur rayonnant. Biddy la bonne voisine, intelligente et vive, pleine de vertus comme de sagacité. Miss Havisham bien-sûr, la grande touche d'espoir du roman, fantomatique apparition omnipotente et pourtant si déchue. Estella, l'enfant sans coeur prisonnière d'un passé qui ne lui appartient pas, et ne peut que forger son futur. Magwitch la force brute, mentale et physique, le pauvre misérable prêt à tout pour la rédemption. Herbert Pockett le doux acolyte, la loyauté faite homme. Wemmick le discret assistant du très cynique Mr Jaggers, avocats bien en vues de cette Londres pré-victorienne. Tant de visages bien construits. Même le commis de la maison Trabb, qui apparait deux fois a quelque chose de marquant.

De grandes espérances c'est aussi et avant tout un récit d'atmosphère, de celles qu'on appelle désormais "dickensiennes". Ici l'auteur nous entraine le long d'une fabuleuse plongée dans l'Angleterre du 19ème siècle, du village rural avec sa rue commerciale et son auberge, du vieux manoir délabré où toutes les horloges se sont arrêtées à 9h40, aux grandes rues de Londres et ses recoins au bord de la Tamise. Tout semble prendre vie sous nos yeux comme une peinture et si Dickens, en excellent conteur, parvient à nous accrocher si bien, c'est aussi grâce au décor qu'il met en place.

Mais ce qui impressionne au-delà de toutes mesures, c'est la multitude de genres littéraires réunis dans un seul et même roman. Avec De grandes espérances, on est quittes pour les codes du roman d'apprentissage, mais aussi de l'autobiographie, du roman policier, du roman d'amour, du roman gothique, de la satire sociale... Bref, une écriture et des tonalités riches, à la hauteur de la réputation de l'auteur.







l'auteur




Charles Dickens nait à Portmouth en 1812 dans une famille modeste. Son père, commis d'un bureau de paye de la Royal navy a bien du mal à faire vivre ses huit enfants, du fait de son tempérament imprévoyant et des dettes qu'il accumule. La famille déménage rapidement à Chatham, où il dit passer une enfance heureuse. Puis les soucis financiers s'intensifient, les Dickens posent leurs valises à Londres et Charles est forcé de quitter les études à 12 ans pour trouver un travail, tandis que son père est emprisonné pour dettes.

Plus tard, il reprend le chemin des bancs de l'école, une fois la situation familiale stabilisée. Charles en conçoit une amertume. Sans les ennuis du père, il aurait été promis à Oxford ou à Cambridge. Charles peuplera son oeuvres de parents incompétents, à l'image des siens, sa mère étant très désireuse qu'il retourne à la fabrique de cirage coller des étiquettes dix heures par jour plutôt que de le voir faire des études. A 16 ans, son éducation prend fin, il entre dans la vie active en tant que clerc dans un cabinet d'avocat. A 17 ans, il se dégage de ce poste et se lance en tant que reporter sténographe où il se fait remarquer au bout de quatre ans d'effort.

Déterminé à vivre de l'écriture, il fait ses débuts d'écrivains dans divers journaux et magazines, et c'est a 25 ans qu'il rencontre le succès après une publication remarquée dans les feuilletons journaux de son tout premier roman Les papiers posthumes du Pickwick club (1835). Au même âge, Charles, éconduit dans sa passion avec Maria Beadnell, jette son dévoluy sur Catherine Hogarth, en qui il voit réconfort et repos. Etablis à Londres, de ce mariage d'abord heureux naitront 9 enfants. Deux ans plus tard, Dickens se distingue avec l'écriture d'Oliver Twist (1837), qui lui vaut un succès triomphal et s'exporte même aux Etats-Unis.

Désormais célèbre jusqu'en outre atlantique, Dickens donne des conférences qui remplissent les salles et lui permettent de gagner largement sa vie. Suivent l'écriture des Contes de Noël (1843) et de David Copperfield (1849). Désormais riche et célèbre, il se lasse de sa femme aux grossesses répétées et pourvoyeur de toute la famille, n'hésite pas à s'en détacher, privilégiant sa carrière. A mesure que les années passent et que les drames familiaux se succèdent, Dickens assombri sa plume avec des romans tel que Les temps difficiles (1954) et De grandes espérances (1961).

Irrémédiablement fatigué par la cadence de ses lectures publiques, la santé de Dickens décline jusqu'à ce qu'il meurre d'une crise cardiaque à l'âge de 58 ans, laissant derrière lui en plus d'une oeuvre considérable, un dernier manuscrit inachevé, Le mystère d'Ewin Drood. Inhumé dans le coin des poètes de l'abbaye de Westminster avec les honneurs de la nation, Charles Dickens est encore aujourd'hui considéré comme le plus grand écrivain de l'époque victorienne.


conclusion

Un roman qui mérite pleinement son statu de chef d'oeuvre de la littérature. Une plume sublime, une histoire cruelle et pleine d'espoir, aussi surprenante qu'atmosphérique en laquelle on prend plaisir à se plonger pour des heures de lectures qu'on ne voit pas passer. Avec sa galerie de personnages, de décors et de situations, Dickens promène son lecteur le long d'un récit riche, dense, maitrisé, immensément réaliste où l'on se rend bien compte qu'il y a si peu de différences entre les hommes des 19èmes et 21èmes siècles. 

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