Déracinée, Naomi Novik : puissance de la nature, territoires en guerres et magie d'un conte slave

22 févr. 2023




Cité un peu partout comme référence contemporaine du genre fantastique, Déracinée croule sous les éloges depuis quelques années, avec cette image de petite pépite inattendue que les amateurs du genre aiment à se recommander entre eux. Et lorsque le roman va jusqu'à être cité lors d'une conférence, recommandé par un journaliste du Point et une docteure en littérature médiévale, je prends ça pour un signe qu'il est grand temps de se décider à le découvrir. 




résumé


Le pitch  : Tous les dix ans, les habitants du village de Dvernik se doivent d'offrir en sacrifice une jeune fille au Dragon, le magicien de la tour, afin de s'assurer sa protection contre les nombreux assauts du Bois. On raconte qu'il ne les touche jamais, mais que lorsque ces filles ressortent de la tour, dix ans plus tard, toutes méconnaissables, aucune ne rentrera jamais au village. Cette année, Agnieszka fait partie des jeunes filles à sacrifier. Mais cette perspective ne l'effraie guère, tant il est couru d'avance que son amie Kasia, plus belle, plus gracieuse et plus courageuse, sera choisie. Pour autant, les choses ne se passent pas comme prévu, et il faudra bien plus que la puissance d'un magicien pour endiguer les menaces du Bois, et rétablir la paix dans la vallée.


les thèmes :

 la nature  la guerre  le monde médiéval slave  la magie 

 la sensibilité instinctive  la rancoeur  l'écologie




avis personnel


Curieux roman que celui-ci. Je ne m'attendais proprement pas à ce genre de lecture. 

Une fille captive. Un sorcier, un royaume, une puissance malfaisante, les jours rudes d'hiver. Tout cela nous promettait du grand spectacle dans la plus pure tradition fantasy. 

Et ce n'est pas du tout ce qui nous a été offert. Le récit n'a finalement pas grand chose à voir avec la présentation éditeur. C'est vers tout une autre histoire, plus proche de l'univers du conte, que l'auteur nous embarque.

Rares sont les romans fantastiques en one shot, où il n'y aura pas de cliff hanger insouttenable et de tome suivant à attendre. Celui-là se lit presque d'une traite, nous embarque au fil d'une terre qui nous est finalement peu connue, aux sonorités et traditions du Nord. 

Dans ce rafraichissant récit, c'est la magie des contes qui émane de chaque page. Déracinée se pose en réécriture d'un conte slave qui nous est inconnu, Agnieszka morceau de ciel.


 

J'ai aimé mes heures entres ces pages, où j'ai parfois soupiré d'ennui, mais je n'ai pas manqué d'enchainer les chapitres avec plaisir et en très peu de temps. 

Le récit n'est pas follement bien écrit, et c'est bien là son point faible. Mais le style littéraire est compensé par son atmosphère magique et mystérieuse. Il y a le chant de quelque chose qui nous est bien familier, et à la fois celui de quelque chose qui nous échappe, au fil des mots de Déracinée.

On sent l'amour de la nature à chaque page, et c'est si plaisant, de voir le monde par les yeux d'une paysanne, qui sait glaner, comprendre, vivre et murmurer au fil d'une harmonie consolante et terriblement saine entre le genre humain et ce qui l'entoure. Ici, peu de distinction est faite entre la magie et la nature, présentées comme deux face d'une même pièce. 


Instinctivement, Agnieszka se sert de son environnement, des comptines de son enfance et des ses sensations pour faire jaillir puissance et compréhension du monde autour d'elle. C'est enveloppant, vibratoire et satisfaisant, comme une parcelle d'infini qui se dépose au creux d'une main. J'ai beaucoup aimé l'image du tissage pour décrire la magie, tandis que le choix des mots incantatoires était lui aussi très réussi. 

Le grand méchant de l'histoire, c'est le Bois. L'infâme puissance qui se répand par contagion, redoutable et putride. On a du mal à comprendre ce qu'est le Bois. Mais on saisit d'instinct ce qu'il incarne, un mal qui ronge, vorace et mouvant, la part la plus sombre de ce que nous avons toujours craint. Beaucoup aimé cet aspect des choses.


Quelques griefs néanmoins, et pas des moindres. J'ai eu beaucoup de mal à m'attacher aux personnages. Je ne crois pas avoir déjà ressenti aussi peu d'empathie pour un personnage qui en plus, est un narrateur à la première personne. Agnieszka, malgré ses qualités de sagesse et d'instinct a quelque chose de profondément banal, et d'un peu balourd. Ses origines paysannes pèsent lourd dans sa physionomie et si c'est souvent très plaisant, cet amour de la vallée et des gens qui la composent, des cycles de la nature, ce côté très humble, c'est aussi parfois terriblement agaçant.  

J'ai peu aimé le Dragon, grand magicien bourru à la limite de l'impolitesse et de la cruauté à chacune de ses saillies, même si l'on devine derrière son comportement une blessure appuyée par le temps. J'ai détesté la relation qu'il noue avec Agnieszka, et j'ai été franchement très frustrée de sa non-évolution, avec la sensation d'être resté en surface du personnage.

Mais ce fut aussi le cas de tant d'autres. Alosha, Solya ainsi que les autres magiciens, par exemple. Même Marek, le grand prince, pourtant le plus décrit. 

In fine, mon personnage préféré fut... Kasia, sans doute pour son grand courage, la cruauté de son sort et sa façon d'y faire face.  


De nombreuses fois, le récit nous emmène loin de ce qu'on attendait de lui, et rien que pour ça, j'ai trouvé ce roman singulier et plutôt marquant. Je comprends mieux la vague d'engouement pour Déracinée, qui apporte sa petite touche d'originalité dans le monde de la littérature fantastique.

Mention spéciale pour la fin. Une hymne à la non violence, aux troisièmes choix, à la compréhension, à la patience et à la foi dans l'ordre naturel des choses.  



l'auteur


Naomi Novik nait à New York en 1973. D'origine polonaise, elle garde une fascination pour les contes de son enfance. Mordue de fantasy et passionnée d'histoire, elle étudie la littérature et la programmation informatique, travaille au développement informatique d'un jeu video avant de faire le choix de se consacrer à l'écriture. 

Sa première série, Téméraire, s'étale sur neuf romans et remporte en 2007 le prix du Meilleur premier roman américain. 

Mais c'est surtout son roman Déracinée, publié en 2017 et couronné des Prix Nebula du meilleur roman, prix Locus du meilleur roman de fantasy, prix British Fantasy et Prix Mythopoeic qui la fait connaitre dans le paysage littéraire fantastique. 

Depuis, ont suivi les romans La fileuse d'argent, lauréat du Prix Locus du meilleur roman de fantasy, ainsi qu'une série en cours de parution, Scholomance.

Naomi Novik est également connue pour son engagement en faveur de la fanfiction. Elle fait d'ailleurs partie des fondateurs du site de référence Archive of our own. 



conclusion


Un récit étonnant, qui compense son manque de qualité littéraire par la richesse de son imaginaire. On passe un bon moment entre les pages de ce roman qui frémit délicieusement l'hiver, au son de ses prénoms slaves et de ses paysages de vieille Europe du Nord. Si les personnages et plus globalement, l'histoire, auraient mérité d'être plus développés, Déracinée nous emmène là où l'on ne s'y attendait pas et l'on referme ses pages le coeur rempli de magie, et la compréhension du monde un peu plus humble. A lire en hiver, évidemment. Les amateurs de réécriture de contes raffoleront de ce roman. 






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