On m'avait offert ce roman il y a quelques années. Je n'ai jamais eu envie de l'ouvrir. En cause ? Sans doute sa couverture hideuse, estampillée lecture légère, exclusivement féminine comme on en trouve à la pelle et qui me donne franchement des boutons. Je l'aurais sans doute ouvert tout de suite, si j'avais eu entre mes mains la version anglo-saxonne, la beauté de sa couverture indiquant toute autre chose.
Toujours est-il que L'empreinte de toute chose était une lecture commune dans le cadre du #clublectureMS et que du coup, j'ai pu profiter de cet élan pour enfin me lancer sur ses rails. Il faut dire qu'il s'agit d'un roman d'Elizabeth Gilbert. Si je n'ai pas nécessairement eu l'envie jusque là de lire son fameux best seller Mange, prie, aime, je me suis récemment intéressée à son encore plus fameux Big Magic, livre de développement personnel sur la créativité que j'ai trouvé très intelligent. Il s'agissait donc d'une raison de plus pour porter mon regard sur cet abominable livre jaune.
Et je n'ai pas été déçue. J'y ai découvert une auteur sensible et intelligente, qui m'a embarquée pour un tour du monde botanique le long d'une plume sensée et séduisante.
Le pitch : Alma Whittaker, fille de l'illustre Henry Whittaker ayant fait fortune dans le commerce des plantes médicinales, nait sur le sol américain à Philadelphie, en compagnie du 19ème siècle. Comme lui, elle connaitra les bouleversements de son temps, ancrée au corps de sa passion pour la botanique. Alma, peut gâtée par la nature, n'aura pourtant de cesse de se consacrer à ses beautés. Au contact des éminents chercheurs qui gravitent autour de sa famille d'érudits, l'héritière Whittaker, portée par sa soif d'apprendre, poussera l'expérience de la vie sociale, exploratrice et sensuelle plus loin que ne l'auront fait la plupart des femmes de son époque.
Les thèmes
le 19ème siècle ◆ la botanique ◆ le savoir ◆ faire fortune ◆ la sororité
les recherches scientifiques ◆ les grands explorateurs ◆ Tahiti ◆ Philadelphie ◆ la laideur
D'abord pour sa thématique mais aussi pour sa forme, j'ai beaucoup aimé ce roman qui a su me plonger dans ses 800 pages vers un ailleurs fascinant. Hommage est rendu au 19ème siècle, bien au delà de ce qu'on lui connait le plus, l'époque victorienne et les guerres napoléoniennes, qui ne seront pas évoquées une seule fois au travers du roman. L'empreinte de toutes choses c'est le 19ème qui découle des découvertes des grands explorateurs. Emigration aux Etats Unis, missionnaires à Tahiti, botanistes dans la cordillère des Andes et chercheurs à microscope en Europe.
J'ai été très surprise par ses 100 premières pages, qui m'ont vraiment fascinées. L'histoire démarre sur les chapeaux de roues, en suivant la jeunesse du turbulent Henry Whittaker depuis les Kew Gardens qui s'embarque sur ordre de Sir Joseph Banks dans une des expéditions du Capitaine Cook, celle qui le fera perdre la vie à Hawaï.
J'ai beaucoup aimé le portrait que brosse l'auteur de cette époque de la conquête des océans et des terres indigènes. Rapports avec les autochtones, entre marins, vies (et morts) à bord d'un bateau sur des mois... On sent qu'elle s'est très bien documentée sur le sujet. Et ce sera le cas tout au long du roman pour mon plus grand bonheur.
◆◆◆
Le roman est divisé en cinq parties.
L'arbre des fièvres, conte la vie du gueux Whittaker et la façon dont il fit seul fortune.
La prune de White Acre, relate la naissance d'Alma Whittaker, le personnage principal, ainsi que son enfance et sa sortie de l'adolescence.
La perturbation des messages évoque sa première histoire d'amour.
La conséquences des missions relate le périple de son esprit perdu sur les îles de Tahiti à la recherche d'une part d'elle-même.
La conservatrice des mousses conclue l'existence d'Alma en tant que savante botaniste au Hortus d'Amsterdam.
Toutes n'ont pas la même intensité. Le rythme perd en dynamique en fonction des parties des récits et l'adrénaline du début laisse malheureusement la place à d'autres passages plus languissant. Roman inégal, je n'ai pourtant très sincèrement pas senti passer ses 800 pages, que j'ai dévorées facilement et ce, en moins d'une semaine.
◆◆◆
Le sujet, bien que passionnant, est parfois difficile. La botanique, sa manière de l'aborder, très scientifique, exclue la partie artistique et esthétique assez peu évoquée dans le roman. A l'appui de l'étude des plantes, l'auteur réveille le bon vieil antagonisme Dieu Vs Science si présent au 19ème et donne l'occasion de plonger dans ce débat vieux comme le monde, tel qu'il apparaissait deux siècles plus tôt.
J'ai beaucoup aimé le travail de documentation de l'auteur. Elizabeth Gilbert livre ici un roman aussi exact que dense et savant. Le 19ème est relaté dans tout ce qu'il a de plus passionnant, de la Royal Academy londonienne qui laisse filer ses conquêtes en Amérique, aux quakers prudents de Philadelphie, en passant par les étranges coutumes des tahitiens, le long des traités de Darwin sur la sélection naturelle.
Les personnages fictifs du roman cohabitent avec des personnages historiques. Tous sont tous assez marquants.
J'ai adoré Ambrose Pike pour ma part. Chacune des interventions de l'insupportable Henry Whittaker m'ont souvent fait sourire. J'ai détesté Beatrix Whittaker et sa rigueur hollandaise. J'ai été attendrie par Haneke De Grott et Retta Snow Hawkes. Demain matin, le contingent Hiro et même l'affreuse Soeur Manu m'ont touchée.
J'ai moins adhéré à Alma Whittaker. Bien qu'une profonde sympathie pour ce personnage peut gâté par la nature-dont son propre père n'hésitait pas à la dire laide- ne peut qu'être de mise, je l'ai souvent trouvée un peu bébête pour une femme réputée si intelligente. Ses choix tangibles contredisent souvent ses choix du coeur et l'on se dit qu'Alma ne fut que souffrance et n'eut jamais que peu d'estime d'elle-même pour voguer chaque fois vers un chemin contraire à ses intérêts, ce qui est bien triste.
J'ai trouvé sa dichotomie avec sa soeur adoptive Prudence absolument frustrante et incompréhensible. Peut être la chose la moins réussie dans ce roman. Prudence ne semble n'être là que pour mettre en exergue ce qui ne va pas chez Alma. Qu'apporte-t-elle d'autre au roman ?
◆◆◆
Elizabeth Gilbert veut aborder beaucoup de sujets relatifs au 19ème siècle. J'ai trouvé que l'abolition de l'esclavage par exemple arrivait un peu comme un cheveu sur la soupe et qu'aucune explication n'était faite pour faire comprendre au lecteur l'ampleur de sa présence.
A bien des égards, j'ai pourtant trouvé que la dynamique retombait.
D'abord cette ellipse de trente ans qui nous fait passer d'un personnage à la sortie de l'adolescence à une femme mâture sans que rien ne se soit réellement passé entre temps, mis à part l'observation des mousses.
J'ai eu du mal également avec cette cruelle histoire d'amour, ce corps brulant de désir d'Alma, initié par de la littérature très crue et (à mes yeux) anti-érotique qui au final se voit refuser ce que tout le monde serait en droit de connaître sur Terre, pour le seul motif de sa laideur.
Quant au final, j'ai trouvé que la vie d'Alma n'avait été qu'un inépuisable gâchis. Tant de chances manquées et de portes closes, s'en est très énervant et franchement dommage.
Mais tout au long de sa structure narrative qui tient tout de même très bien la route, j'ai aimé être porté par la plume de qualité d'Elizabeth Gilbert. J'ai aussi de nombreuses phrases, sensibles et intelligentes, qui ont fait écho en moi, ont bien expliqué des choses que je peinais à formuler. Et j'ai bien ri de quelques références assez peu aimables envoyées dans la face des français.
Pour finir j'ai été surprise du titre, que je trouve pourtant assez mal traduit. L'empreinte de toute chose, c'est cette facette mystérieuse de la nature qui semble mettre l'homme sur la voie de cette communion naturelle, en lui indiquant visuellement que la feuille qui soulage les mots du foie ressemble à cet organe, que la sève pourpre du plantain est celle qui soigne les maladies du sang, etc, etc...
Elizabeth Gilbert naît aux Etats Unis en 1969 dans un petit ville de l'état du Connecticut d'un père ingénieur chimique et d'une mère femme au foyer, tous deux exploitants d'une ferme de sapins de Noël. La famille vivant dans un endroit très reculé sans voisins n'avaient ni poste de télévision ni poste de musique, tout poussait la jeune fille à s'orienter vers les livres pour se divertir.
Après l'obtention de son diplome en Science Politiques à New York, Elizabeth Gilbert enchaine les petits boulots. Cuisinière, serveuse, employée de magazine, employée dans un ranch... Elle relate ses expérience au travers de nouvelles. L'écriture, elle l'a dans la peau depuis toute petite.
D'abord publiée dans des magazines, elle atteint le succès en 2006 avec son best seller Mange, prie, aime, inspiré de sa propre vie, qui caracole en tête de vente pendant des mois. Suivront d'autres romans tels que Le dernier américain (2009), La tentation du homard (2011), Mes alliances (2010) et L'empreinte de toutes choses.
Récemment auteur d'un autre best seller, en développement personnel cette fois-ci, Elizabeth Gilbert gagne encore plus en notoriété avec Big Magic (2016), citée comme référence dans son domaine. Auteur de nombreuses conférences, on la retrouve désormais dans de nombreux TED TALK centrés autour de la créativité, tous plus pertinents les uns que les autres.
flagrante preuve de supériorité des couvertures de romans anglo saxons sur celles des romans français |
Un bon roman très prenant. Il s'agit certes d'un portrait de femme, qui pour cette raison le catégorise malheureusement dans les romans féminins ( cf la couverture française...) alors que non, désolée, L'empreinte de toute chose, c'est une histoire mixte. Avec sensibilité et intelligence, Elizabeth Gilbert file un portrait passionnant d'une des facettes du 19ème siècle, au sein d'une famille ambitieuse, austère et savante, qui conduira le lecteur sur la route du commerce des herbes médicinales et les premières études scientifiques botaniques, des plantes les plus exotiques jusqu'aux bonnes vieilles plantes passe-partout d'Europe du Nord, en lesquelles sera toujours lisible l'empreinte de toute chose.
Social Icons