Je ne fais pas partie des amoureux de la mer. Je les regarde avec beaucoup de douceur, d'admiration et peut être un peu d'envie, ces mordus des vagues et du bleu de l'horizon. Il faut dire qu'ici à Marseille, la mer c'est tout un mode de vie.
Le mien la tient en respect, aime sa présence, mais n'a pas la prétention de dompter ses flots. Au mieux, j'irais m'y baigner les jours d'été, m'y balader les jours d'hiver, l'admirer tout le reste de l'année. Mais je n'ai pas la culture de la mer aussi développée que l'ont de nombreux marseillais.
Je crains les fonds marins, j'aime la terre ferme et la mer m'attire autant qu'elle me terrifie. Mais il faut toujours s'ouvrir aux nouvelles expériences. Surtout lorsqu'elle nous tombent dessus sans consession. Il fallait bien le fêter, ce premier permis bateau dans la famille.
Mois d'Octobre. Eté indien, premiers matins frais : dernier carat pour partir en mer.
Première sortie en bateau, ensemble et sans skippeur ni autre encadrement nautique. Le capitaine a 23 ans.
Carnet de bord
d' u n e m a t i n é e d i v i n e
8h, un dimanche matin.
Marseille se réveille. Les rues sont vides, les rares âmes éveillées dont nous faisons partie croisent les plus sportifs des marseillais, déjà en train de faire un footing au bord de mer. Dans le paysage se trainent aussi les tenues défraichies, yeux cernés et maquillage fatigué de ceux qui rentrent de soirée.
Sur le port de la Pointe Rouge, nous sommes seuls. Je resserre mon écharpe autour de mon pull, l'air est plutôt frais. Les premiers rayons de soleil baignent la ville de leur lumière orangée.
9h, faux départ.
Le loueur arrive par les eaux. Le temps de désamarrer son bateau, de le sortir de son garage et de l'amener au port, les minutes ont déjà bien filé. Nous écoutons ses recommandations. Il nous parle dans un langage que seul le capitaine de la journée est apte à comprendre. Lorsqu'on évoque les corps morts, l'image glacée des migrants noyés me vient à l'esprit et j'accuse la violence de ses propos, avant de me ressaisir : le corps mort, c'est une dalle de béton avec une bouée pour s'amarrer.
Nous posons nos sacs dans la cabine, à fond de cale. Le loueur nous demande de retirer nos chaussures pour toute la durée de la traversée. Et une fois tous les dispositifs de sécurité passés en revue, nous prenons enfin la mer.
9h30, la faute à pas de chance.
Vingt minutes seulement que nous avons quitté le port et nous voici déjà en proie à notre premier problème : le moteur s'est arrêté. Brusquement. Comme ça. Sans raison. Où est la panne ? Nous penchons la tête vers l'eau, inspectons tant bien que mal les hélices de l'engin, l'inquiétude grandissante à bord.
Le capitaine pousse un cri. Notre bateau s'est empêtré dans un filet de pêche. Un filet clandestin, interdit si proche du rivage. Les pales du moteur, toutes entortillées de fils, refusent de se remettre en marche. Nous appelons à l'aide. Le premier bateau qui passe s'arrête à quelques mètres de nous. Ce couple de sexagénaires, expérimentés, s'indigne avec nous. Une chose est sûre, ils vont prévenir les gardes côte et le poseur de filet aura de sacré démêlés avec la justice.
Ce qui ne résout malheureusement pas notre problème. Pour nous sortir de là, option risquée : nous faisons la chaine humaine. Au bout de nos doigts, notre capitaine, porté à bout de bras, sectionne le filet à l'aide d'un canif miraculeusement trouvé dans l'un de nos sac à dos. En un éclair, le moteur redémarre. Les hélices se dégagent du filet percé et nous pouvons poursuivre notre balade en mer.
10h, en longeant les côtes.
Le soleil se fait plus mordant, nous enlevons les pulls. Aux côtés d'autres bateaux, nous naviguons vers les Goudes. Non loin de là, le Chateau d'If et le Frioul, mais nous nous dirigeons vers l'autre côté, vers le port de Cassis que nous n'aurons pas le temps d'atteindre, faute à ces doubles retardements.
Le plaisir à bord est intense. Les vagues qui se fracassent contre la coque du bateau, la beauté de ses reflets, du ciel et de l'horizon, l'odeur de la mer, et ce sentiment de liberté rarement égalé. Nous dépassons le Cap Croisette, un grand sourire en direction de ces paysages que nous connaissons si bien à pied mais si peu depuis la mer. La ville est désormais derrière nous, et le paysage devient tout à coup plus sauvage.
11h, l'appel du large.
La manoeuvre demande un peu de vigilance. Des récifs se dessinent, insidieux, à la surface des vagues. Nous sommes en plein parc national des calanques. Ici batifolent oiseaux, poissons et autres espèces protégées. C'est aussi précisément vers ici, au large des calanques de Marseilleveyre qu'on a répêché la gourmette de St Exupéry vingt ans plus tôt. Petite pensée pour tous ces aviateurs de guerre, abimés en mer. Et pour les épaves et autres masses intimidantes cachées au fond de l'eau.
Nous nous éloignons des côtes. Oh, nous resterons très largement à portée de vue des terres, mais les petites îles de Calsereigne et du Riou sont désormais derrière nous. Pris par le temps, nous ne pourrons pas atteindre notre but. Alors nous profitons du calme de la mer, en cette matinée d'Octobre et coupons tout bonnement les moteurs, histoire d'économiser notre carburant. Le bateau tangue un peu. On sent les remous des vagues à l'arrêt, bien plus qu'en naviguant. Mais rien ne nous empêchera de déboucher cette bouteille de vin. "A nous !", c'est le temps des célébrations.
12h, le temps du retour.
Nous croisons quelques bateaux. Des expéditions de plongeurs, des touristes, des plaisanciers et même des pêcheurs, tapis à l’abri du gigantisme d’un massif rocheux. Au loin, la mer. Rien que la mer, sur des kilomètres. La terre la plus proche ? La Corse. Ou peut être même l'Afrique.
Il s'agit maintenant d'entamer le chemin du retour. Nous nous y résignons, la mort dans l'âme. Ces trois heures en mer, qui nous ont enhardis, nous poussent à nous montrer plus aventureux. Je monte sur le bastingage. La vue est à couper le souffle, l'impression de fendre les flots, la sensation de liberté grisante. Il faudra batailler pour me faire descendre de là. Je me rends compte que, contre toute attente, moi, la fille de la terre ferme, j'adore naviguer.
13h, fin d'une balade inoubliable.
Le retour nous parait tristement bien plus court que l'aller. Etait-ce l'ambiance familiale de notre petit groupe qui en effet partage le même sang ? Etait-ce l'euphorie de la nouveauté, l'ivresse de la liberté ? Il n'y a rien de pesant sur les kilomètres de vagues qui nous séparent du port.
Il est dit qu'on croise des dauphins au large de Marseille. Nous n'avons pas eu le privilège d'en voir, nous étions sans doute bien trop proches des côtes pour apercevoir la silhouette majestueuse de ces cétacés. Sur les derniers mètres, nous sommes un peu tendus, organisant la riposte logistique pour éviter de se reprendre le même filet piégeur qu'à l'aller.
Détails pratiques
a v a n t d e p r e n d r e l a m e r
- Nous avons loué un bateau Merryfisher 530. Sa capacité d'accueil était de 6 personnes. Il s'agissait de ce loueur et de ce bateau là, qu'on recommande amplement {ici}.
- Nous sommes passés via le site Samboat, une référence en matière de location de bateaux directement de particulier à particulier, mais aussi de pro à particuliers. Le site propose des offres avec et sans skipper.
- Notre ennemi principal fut la météo. Capricieuse, elle peut à tout moment annuler une sortie en mer. Le loueur de bateau reste le seul à décider si l'on peut quitter le port ou rentrer chez soi.
- Le principal stress de la journée était de savoir si nous allions avoir assez de fuel. Le bateau est fourni avec un plein. Il est demandé à la fin de la balade de le rendre avec un plein également, exactement comme dans les sociétés de location de voitures.
C O N S E I L S É V E N T U E L S
- A tous ceux qui n'ont pas le pied marin, pas d'inquiétudes : en tant que grande expérimentée du mal de mer, j'ai pour ma part très bien réussi à supporter cette balade. Lorsqu'on longe les côtes, un jour où la mer n'est pas agitée, le bateau n'est pas assez secoué pour déclencher le mal de mer.
- Toujours prévoir un canif lors d'une sortie en mer.
- La mer, ça creuse : penser à emporter un encas salvateur.
- Eviter de jeter l'ancre lorsqu'on s'éloigne peu des côtes. En cas d'ancre coincée dans un récif, le capitaine est tenu de plonger pour la décrocher. Et perdre une ancre peut coûter très cher.
- Il y a de grandes chances que le combo soleil, mer + vent donne très mal à la tête pour le restant de la journée. #viveledoliprane
L E S T R O I S R È G L E S
la femme épanouie sur un bateau
- Règle N#1 : attacher ses cheveux, sous peine de se retrouver avec un nid de noeuds démêlable en plus d'une heure et demi.
- Règle N#2 : des lunettes de soleil sous peine de finir aveugle à cause de la réverbération, indispensable.
- Règle N#3 : autre indispensable : la crème solaire. Même en Septembre ou en Octobre, le soleil reste féroce et les dégats peuvent être remarquables #ratonlaveur.
Conclusion
A tous les aventureux, les ouverts aux nouvelles expériences, surtout les plus terriens d'entre nous, je recommande fortement la balade privée en bateau, hors du cadre habituel de la traversée touristique.
On ressent forcément quelque chose de fort en pleine mer. Loin des circuits touristiques, sans autre ressource que soi même face aux éléments. Ce fut pour moi, la terrienne, une merveilleuse expérience.
Il y a quelque chose sur cette côte, quelque chose de magique lorsque le soleil domine les reliefs des calanques marseillaises. Je retiens l'immensité, la force de la mer et de ses flots. La sensation d'être si petit face aux éléments, mêlé à celle, exaltante, de se sentir le maître du monde. Pour ma part je n'oublierai jamais la force émotionnelle de cette journée.
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