La trilogie d'une nuit d'hiver ◆ Katherine Arden, merveilleux & poésie des contes russes

22 févr. 2021




Voilà longtemps que je ne m'étais pas penchée sur un roman issu de la littérature fantastique, un genre dont j'avais été pourtant très friande à une époque. A l'origine de cette envie de lecture, une thématique, celle de l'hiver, et sans doute une envie d'enchantement, induite par le contexte actuel. Il n'en fallait pas plus pour me pousser dans les bras de la trilogie d'une nuit d'hiver. Bon, ok, la beauté de la couverture de L'ours et le Rossignol fut un argument déterminant, quelle merveille...




résumé

Le pitch : Vassia Petrovna, jeune fille de la campagne, possède le don de double-vue. Elle peut voir et parler aux tchiortis, esprits ambivalents peuplant le monde. Un jour, la voilà face à Morosko, le roi de l'hiver, et Medved, l'ours sanguinaire, héros de contes que racontent les nourrices aux enfants le soir près du feu. Mais le tempérament libre et sauvage de Vassia n'ont rien pour plaire dans cette Russie médiévale où le destin d'une jeune fille ne peut différer du mariage et de l'enfermement. Bien déterminée à rester elle-même, Vassia s'attire les foudres des hommes qui finissent par voir en elle une sorcière. Surtout le père Konstantin, envoyé par Moscou pour évangéliser les provinces reculées jugées trop superstitieuses du Nord de la Russie. A mesure que les cloches sonnent, les tchiortis dépérissent, et le pays ploie sous le joug des envahisseurs mongols. Faudra-t-il que Vassia se mêle de toutes ces choses qui la dépassent, afin de rétablir l'équilibre ?


Les thèmes :

 la liberté ◆ l'insoumission ◆ l'hiver ◆ le folklore russe   le merveilleux ◆ l'amour filial ◆ l'apprentissage ◆  la magie ◆ la tolérance ◆ la Russie médiévale ◆ les invasions barbares ◆ la religion chrétienne◆ les croyances ancestrales 



avis perso


Quelle belle surprise, quelle jolie lecture que ces trois romans. J'ai pris un plaisir immense à me glisser dans les pages hivernales et poétiques, surprenantes et captivantes de L'ours et le rossignol, La fille dans la tour et L'hiver de la sorcière.

La trilogie d'une nuit d'hiver, ce sont avant tout des romans d'ambiance, une atmosphère plus riche encore que l'histoire en elle-même. Celle des contes russes, de l'enchantement et du merveilleux de ces contrées polaires et si élégantes. 

J'ai tout particulièrement aimé ce cadre, rare en littérature : la Russie du XIVème siècle. L'auteur nous apprend d'ailleurs en fin de pages que peu de traces écrites ont été conservées de cette époque mystérieuse car si peu documentée.

Au fil des pages de ces trois romans, nous voici donc immergés dans cette Russie qui n'en porte pas encore le nom, la Russie d'avant les tsars, la Russie en guerre avec ses voisins turcophones, en pleine expansion orthodoxe.     

J'ai d'abord été transportée par les prénoms. Vassia, Nikolaï, Dimitri, Aliocha... de douces sonorités russes, qui font voyager, lancent des images dans les yeux. J'ai adoré essayer de prononcer à voix hautes quelques uns de ces mots difficiles "Po-lou-notch-nitsa." Et puis ce vocabulaire typique, ces mots qui nous sont pourtant bien inconnus : le boyard, le métropolite, le godousar, le terem, le gospodine... Musical, dépaysant, rafraichissant.

Puis je me suis pâmée pour cet univers, celui des contes russes. J'y ai découvert un monde riche en imaginaire et en poésie. Le folklore slave, qu'on connait si peu, et qui plus encore que nos contes d'Europe de l'Ouest, font la part belle à la magie et au merveilleux. A noter aussi que dans les contes russes, les figures féminines sont beaucoup plus riches et bien moins passives que nos figures féminines à nous. Aussi, l'auteur s'inspire de trois contes majeurs pour l'écriture de ses romans. Le conte de Morosko, roi de l'hiver, pour L'ours et le rossignol, le conte de Snegurochka, la jeune fille des neiges, pour La fille dans la tour, et le conte de Maria Morevna, la reine guerrière pour L'hiver de la sorcière. 

Du point de vue des personnages, l'auteur nous en offre un panel divers et varié qui gravite autour de Vassia, son héroïne insoumise, libre et déterminée. Résolument très moderne, Vassia refuse la chape de plomb réservée aux femmes de son temps, monte à cru les chevaux, défie le mariage et l'enfermement, et n'hésite pas à se faire passer pour un garçon lorsqu'il le lui est plus commode dans sa quête d'elle-même. J'ai trouvé qu'il y avait un peu de Mulan dans l'histoire de son destin, le spectre européen du sort réservé aux femmes libres (brulez la sorcière !) en plus. 

Parmi la riche galerie des autres personnages, j'ai beaucoup aimé le doux Aliocha et le sage Sacha, l'élégance ambivalente de Morosko, roi de l'hiver et même les aspects les moins reluisants d'Anna Ivanovna, tout comme j'ai adoré détester les tatars, le prêtre et l'ensorceleur. 


Mais le point fort de ces romans au delà de son ambiance ensorcelante, c'est aussi, très étonnamment, l'écriture de Katherine Arden. La plume de l'auteur est fluide, élégante, poétique, toujours soignée, loin de l'écriture parfois lambinante qu'on peut croiser dans un roman fantastique. J'ignore s'il s'agit du soin accru porté par la traduction ou si le style de l'auteur lui-même était déjà plutôt haut de gamme, mais tourner les pages de ces romans m'aura presque donné l'impression de skier le long de ses chapitres enneigés (ce qui était plutôt agréable cette année où les stations de ski n'ont pas eu l'autorisation d'ouvrir en France).   



Le premier tome, L'ours et le Rossignol, c'est avant tout l'histoire de la famille, et sa fratrie, qui sont mises en avant. L'amour de Vassia pour les siens, les caractères différents de Kolia le bagarreur, Sacha le dévot, Olga la responsable et Aliocha le doux sensible, sous l'oeil bienveillant de leur père, Piotr le juste et l'amour manifeste de Dounia, la nourrice espiègle. L'ambiance est pastorale, feutrée dans ces forêts d'hiver où flotte un parfum de magie. On y rencontre aussi les premiers tchiortis : le vazila, le domovoï, la roussalka, Morosko et Medved.

On est plus ici dans un roman jeunesse d'une jolie envergure, aux thématiques assez travaillées, ne serait-ce qu'avec l'affrontement entre le monde chrétien et le monde ancestral, et le cloisonnement qui menace de plier sur Vassia.



Le second tome, La fille dans la tour, tire plus du côté du roman d'apprentissage. Vassia qui ne trouve plus sa place dans son village natal, s'enfuit à la rencontre du monde. Pour rester libre dans ses mouvements, elle se doit de se déguiser en garçon, et ne peut compter que sur l'appui de Soloveï pour renforcer ses pas. Sans le vouloir, elle défie les conventions de son époque et devra faire montre de bravoure et de force pour déjouer les intrigues au coeur desquelles elle se retrouve mêlée, l'ombre de Morozko dans son sillage.

Sont très présents dans ce tome la question de la condition féminine, la vie médiévale russe et l'organisation de ses sociétés, qui craignent les invasions barbares et enferment les femmes dans les terems. On y rencontre aussi de nouveaux tchiortis, bien que la magie décline dans cette Moscou très pieuse.  



Quant au troisième tome, le plus sombre des trois, il est l'équation d'un équilibre : Vassia, qui a refusé les offres de Morosko et de Medved forme désormais à elle toute seule une troisième puissance. Et tandis que les Tatars ont déclaré la guerre à la Russie, sa réalité se déforme et la voilà partie dans la Minuit en quête des forces auxquelles se rallier, et peut-être, en apprendre plus sur elle-même et ses origines. Il est question de juste équilibre des choses, de nuances et d'anti-manichéisme, d'alternatives, de sacrifices et du fait de grandir, tout simplement. 

On y rencontre sans doute les meilleurs tchiortis. La Baba Yaga, la Polounotchnitsa, le Deb Grib, Pojar et les cheveux près du lac, au fil d'une intrigue mystérieuse et palpitante, où plus que dans les précédents romans, l'auteur mêle certains événements historiques à son récit. 

Petite déception tout de même pour la conclusion, qui, dans la lignée de notre bon vieux Game of thrones, m'a parut trop rushée, laissant trop d'éléments en suspens. On referme les pages de cette trilogie sans la sensation d'avoir bouclé la boucle, et c'est la la seule remarque négative que j'aurais à faire au sujet de ces romans.



l'auteur

Katherine Arden, jeune trentenaire née à Austin, quitte le Texas dès la vingtaine pour les froides contrées de Russie où elle étudie à Moscou. Diplomée du Middlebury College où elle valide deux cursus en langue, l'un en russe et l'autre en français, elle part un an en France travailler comme assistante linguistique dans une petite ville des Alpes, puis échoue dans une ferme hawaïenne où entre deux journée à ramasser des noix de macadamia, elle se met à écrire un roman. 

L'ours et le Rossignol, son premier roman, parait en 2017, suivi de La fille de la tour et de L'hiver de la sorcière, traduits en de nombreuses langues. Ses romans rencontrent le succès, vantés dans les médias, estampillés des critiques élogieuses de grands noms du genre comme Robin Hobb. Aujourd'hui Katerine Arden a posé ses valises dans le Vermont, actuellement à l'écriture d'une nouvelle série de romans ce coup-ci destinés à la jeunesse.



conclusion


Je me suis délectée des pages des trois romans de cette trilogie d'une nuit d'hiver. Avec une thématique parfaitement adaptée à nos jours froids de Décembre/Janvier, c'est une parenthèse enchantée entre les pages desquelles j'ai adoré me plonger ces quelques semaines, en ces jours raccourcis par le couvre-feu de 18h. 

J'ai tellement aimé mes heures au creux de l'univers merveilleux des contes russes (un univers rarement accessible aux lecteurs francophones), aux côtés de Vassia, une héroïne en quête de liberté, beau personnage féminin du genre de ceux dont les rayons littéraires manquent encore bien trop, et que j'aurais adoré découvrir en étant plus jeune. Mais le plus indéniable de ces trois romans, c'est le style d'écriture de l'auteur, poétique, élégant et très soigné. 

La trilogie d'une nuit d'hiver, qui est déjà un succès en librairie gagnerait selon moi à être bien plus connue ! D'ailleurs si vous me lisez, @Netflix, ou @Primevideo, une adaptation en série, ce serait vraiment une très bonne idée, et assurément un succès d'audience. 

Bref, une suite de romans envoutants, qui plaira d'autant plus aux amateurs d'imaginaire et de folklore russe. A lire au plus froid de l'hiver bien-sur. Carrément idéal en période de Noël.

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