Les Vosges, ce n'était pas prévu au programme, bien que je ne connaissais pas du tout la région. Mais il a suffit d'une après-midi pluvieuse, d'un manque de disponibilités à Verdun et d'une offre Booking alléchante pour dévier de notre itinéraire. Par la magie du hasard, Plombières-les-bains devient une étape.
Nous arrivons de nuit, depuis la voie rapide d'Epinal. Sur la route, des forêts de sapins, des blocs de neige, des gros virages serrés. Signes évidents de l'altitude. Ambiance montagne imminente.
La voie royale nous accueille, silencieuse, brumeuse et désertique.
On y devine déjà une certaine atmosphère : Sur les lampadaires à trois branches, seule une ampoule est allumée, grésillante. Le bruit de nos roues retentit dans les hauteurs, se perd dans le silence.
Le centre-ville est plongé dans le noir, il est vingt heures : Plombières-les-bains est une ville morte. Dehors, il fait -10° et il n'y a pas âme qui vive sur les trottoirs. Seule la véranda du Grand Hôtel se fait le nid d'une activité humaine. On y voit quelques convives savourer un repas chic à la lumière tamisée des immenses lustres au plafond. Le bal des vampires n'est pas très loin.
L'hôtel où nous échouons a quelque chose de grandiose. Classé monument historique, son faste et ses dimensions impressionnent. L'accueil fardé de crinolines et de mobilier empire nous fera dormir sous des auspices napoléoniennes, à l'orée d'un fauteuil Récamier. La chambre, très contemporaine, incite à l'envie de se prélasser quelques heures en filigrane.
La soirée sera des plus chics sous le poids des hauts plafonds haussmaniens, avec mon risotto de champignons et ma coupe de veuve renard.
Il nous vient une envie subite. Celle de jouer les curistes, demain matin : se baigner dans les thermes de cette vieille citée romaine. Mais ce luxe ne nous sera pas possible : hors saison, les Thermes Calodaé sont fermés. De novembre à Mars, pas de bains à Plombières-les-bains. Il y a bien les Thermes Napoléon. Mais ceux-ci sont réservés aux curistes rhumatismaux, sous réservation préalable. L'hôtelier a tout de même la gentillesse de nous faire visiter les lieux, en simples touristes.
Je me doutais que c'était un peu pour ça que Plombières-les-bains, c'est déserté. J'imagine beaucoup de monde enfler les pavés de la ville en été. Des retraités, des enfants turbulents, des sportifs, des amateurs d'air frais de la montagne.
De jour, la ville est plongée sous un ciel gris, plein de promesses d'une menace de pluie. L'air est frais, montagnard, légèrement brumeux. Mon oeil accroche les habitations disposées en terrassement. C'est joli, presque sicilien, avec des airs de Suisse.
Une simple balade rapide m'en dit beaucoup sur les lieux.
Il y a l'ancienne gare, transformée en casino, et la beauté de certaines bâtisses, évidents témoins du passage d'une clientèle fortunée. On sent tout de suite le faste d'autrefois. Sans le savoir, on imagine facilement le glorieux passé de la ville.
Plombières-les-bains, c'était la grande station thermale à la mode sous l'empire. Creusée par les romains, réhabilitée à la Renaissance, la ville connut son âge d'or lors des campagnes Napoléoniennes. S'y sont pressés Voltaire, Montaigne, Beaumarchais, mais aussi Musset, Delacroix, Lamartine, Goya, autant que Josephine de Beauharnais, Napoleon Bonaparte, Napoléon III et toute leurs cours, pour ne citer qu'eux.
A l'image des stations thermales de Karlovy Vary et Marinenbad ( République Tchèque), la donne est la même : un air montagnard, des architectures sublimes, un paysage buccolique, des installations parfois rouillées et un certain sentiment de décrépitude.
Il y a dans Plombières-les-bains un côté désolé, sinistré. Des grandes bâtisses abandonnées, des lieux fastueux dont on sent bien que la direction manque de fonds pour en entretenir la splendeur. Ambiance un peu The Grand Budapest Hôtel.
En pleine journée, quelques rares silhouettes bourgeonnent sur les trottoirs. J'ai droit à une blague du papy vosgien qui n'a pas grand monde à qui parler dans son quotidien.
Et puis mes yeux croisent l'hôtel "Le Parc". Je me sens tout de suite foudroyée, subjuguée par ces airs de magnificence. Grande bâtisse postée à la sortie de la ville, ses lignes art nouveau jugendstill à la fois massives et délicates lui définissent un air altier, sombre : c'est une bâtisse abandonnée. Elle est pourtant magnifique, princière et si mystérieuse. Elle a "la tristesse feutrée des grandes réalisations désuètes". Je me souviendrai longtemps de ces sensations.
Ma cheville m'empêchera de visiter le Parc Miniature. C'est dommage, ça m'aurait bien plu de déambuler dans le Parc Impérial et d'y admirer en reproduction miniature les plus belles architectures de l'Alsace-Lorraine.
Pour rejoindre l'itinéraire duquel nous avons dévié, il ne nous sera malheureusement pas possible de nous attarder plus longtemps dans les Vosges. Et c'est très étrange, mais j'ai la sensation d'avoir posé le doigt sur une veine de l'histoire à Plombières-les-bains.
J'ai adoré ce côté terni, à l'image la vieille argenterie noircie de sa grand tante qu'on garde dans un tiroir sans savoir qu'en faire, parce que c'est lourd et démodé, alors qu'il suffirait d'un peu d'huile de coude pour faire revenir à la vie un bel objet. Plombières-les-bains c'est un peu ça, un prestige oublié.
Le crochet Vosgien aura donc été une très jolie surprise pleine de beauté et de poésie, dans une ambiance très "arbres morts", telles que je les affectionne. Je garde en tête que la ville est sans doute très différente en haute saison, parée de ses fleurs et de ses visiteurs.
J'ai trouvé dans cette ville parée de sa vieillesse et de ses couleurs noires une certaine magie, une promesse de renaissances. Mais aussi quelque chose d'assez triste et de symptomatique de notre temps : l'abandon des belles choses au profit du moindre parce que pratique.
- Les thermes Calodaé
- Le parc miniature
- Les coteaux de la Vierge
- La balade historique guidée (se renseigner auprès de l'Office du Tourisme pour les prestations ) ou par tes propres moyens en ouvrant grand les yeux pour admirer le faste architectural
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