La dernière étape de ce road trip, c'était celle à laquelle je voulais qu'on consacre le plus de temps : l'Alsace. Je n'avais jamais mis les pieds dans cette région pourtant très connue qui me rendait curieuse, tant par sa différence vis à vis de mon bassin méditerranéen que de sa ressemblance avec les préfectures outre-rhin. Car oui, à nos yeux dans le Sud, les alsaciens sont plus des allemands que des français, et visiter l'Alsace, c'est s'offrir un dépaysement dans son propre pays. Je ne savais pas spécialement à quoi m'attendre de cette région, n'ayant jamais été charmée sur le papier par les géraniums et les maisons à colombage.
J'y ai pourtant trouvé un art de vivre inspirant, à mi-chemin entre le kitsch désuet, la rudesse du terroir et la légèreté de l'air nourri du souffle de la nature. J'ai aimé y découvrir la richesse du vin, goûter les saveurs du terroir, m'émerveiller de son charme préservé et rire de me croire de pleins pieds dans le village des Schtroumpfs.
Il règne en Alsace une atmosphère un peu hors du temps, entre l'enchanteur et le trop propret pour être honnête, les noms ne sont prononçables que par les locaux et la rigueur germanique se sent, derrière les volets comme sur les trottoirs.
Nous arrivons sur le coup de midi, depuis les routes sinueuses d'un parc naturel régional avec vue en contrebas, sur les plaines d'Alsace. Les étapes de cette visite, c'est mon père qui nous les indique, le souvenir de son propre voyage en Alsace ayant été un coup de coeur. Parce qu'on croise un panneau "haut koenigsbourg", on commence notre périple alsacien par un château : le château du haut-koenigsbourg.
Perché sur un éperon rocheux, dans la tradition des châteaux allemands, le haut-koenigsbourg domine la vallée. Avec ses remparts et ses tours en forme de donjons, on sent tout de suite un château médiéval, une forteresse, écran guerrier de la région. Sa brique rouge et ses harmonies architecturales détonnent assez avec ce qu'on a l'habitude de voir en France.
A cause de ma cheville, je sais qu'on ne pourra pas le visiter. J'essaye pourtant de claudiquer jusqu'à sa cours intérieure. Les pavés au sol me rendent l'exercice difficile, mais je me réjouis des ces sensations hivernales qui me glissent dans le coeur. Il fait un froid mordant, les arbres morts se dressent dans le paysage, et il règne entre ces murs centenaires l'aura d'un autre temps.
Mes yeux se posent sur le détail des portes en bois, designs des lampes et l'imbrication architecturale entre tuiles, pierres et façades en colombage. J'avise une jolie composition, celle d'un arbre tortueux acculé au mur, qui aurait plutôt eu sa place à Brocéliande qu'ici d'ailleurs mais bon, les voies de la nature sont impénétrables.
En guise de lot de consolation, on pousse la porte de la boutique du musée, et s'offre un joli coupe papier en forme d'épée médiévale qu'on sera ravis d'utiliser quotidiennement dans notre quotidien à Marseille. Derrière la boutique, l'espace restauration. On finit par s'y attabler, un peu pris de cours par les événements, et me voilà en train de déguster une tarte au munster avec une salade.
Sur les petites routes de campagne en direction de Colmar, des vignes en enfilade. Inutile de chercher plus loin, nous sommes bel et bien sur la route des vins. Nous faisons un premier crochet par le village de Riquewhir. Il est petit et ramassé sur lui-même, et serait pile ce que ma cheville attendait si ce n'est l'omniprésence de pavés au sol. Je me repais tout de même du spectacle. Toutes ces façades de couleur, l'architecture de ces beffrois ont ce petit quelque chose de féérique. La finesse des enseignes en fer forgé, la végétalisation systématique ont ce charme contrasté par le mauvais goût des cigognes et oies kitschissimes décorant les fenêtres.
J'aime beaucoup Riquewhir. Le village, ouvert sur la plaine porte en son centre une joyeuse animation doté d'une simplicité et d'une authenticité agréables à sentir. Je m'offre un bretzel pour la route, pas parce que j'ai faim, mais parce qu'ils sont beaux dans cette échoppe, empilés les uns sur les autres, dorés à point.
Le second village à visiter, c'est Kaysersberg, une jolie petite bourgade figée dans le temps. Bordée par la rivière, plutôt déserte, j'ai trouvé qu'elle s'apparentait davantage à l'idée que je me fais de la Suisse. Déambuler dans ses rues m'a fait prendre l'air, tant la nature s'invite très fort dans Kaysersberg. Le bourg est aussi très fier de porter le titre de village préféré des français.
Pour ma part j'y ai trouvé bien du charme, mais aussi un petit quelque chose de déplaisant. Peut-être l'ambiance, qui m'a parut beaucoup plus conservatrice et plus méfiante que celle de Riquewhir. Il fait froid, de la fumée sort de quelques cheminées, on sent les odeurs de l'hiver. Volupté. Toujours plus loin dans le kitsch, les décorations mettant les oies à l'honneur rivalisent avec leurs petites échoppes d'artisans un peu envahissantes qui, ne voyant pas souvent passer le touriste en hiver, a tendance à fondre sur lui et ne comprend pas que pas tout le monde n'ait envie d'afficher ses ferronneries à l'effigie des oies dans son salon.
Nous finissons par arriver à Colmar. L'hôtel, sans doute une chambre d'hôtes, est joli, décoré à l'alsacienne, sous une mansarde. Il est bien situé, en plein centre de la ville, à quelque pas de la très fameuse carte postale, qu'on appelle "la petite Venise". Moi qui ne m'attendait pas spécialement à trouver le paysage joli, je tombe raide face à lui. Ces canaux sinueux, bordés par des maisons à colombage, ont un charme indiscible. Et pour plus de poésie, un cygne, majestueux, vient s'ébrouer sur mes photos.
Pour manger ce soir, plusieurs adresses nous sont conseillées. Plus ou moins toutes à côté, je m'offre le luxe de choisir en fonction de la deco. Je suis déterminée ici à bien explorer la gastronomie et la renommée vinicole. Parce que tout est malheureusement complet, nous nous rabattons sur la dernière adresse de la liste, Le bistrot des lavandières. J'y déguste de la bonne cuisine, parsemée de kumkwats. Et sur les conseils de la serveuse, je goûte le Gerwurstaminer. Coup de coeur immédiat. Voilà qu'un vin du nord détrône mon muscat favoris, le provençal Beaumes de Venise. Je rentre à l'hôtel ravie, avec la sensation d'avoir passé une de ces soirées dont je garderai longtemps le souvenir.
Le lendemain matin, je suis déjà sur des ressors. Nous marchons vers la vieille ville, heureusement à deux pas de notre hôtel, à la recherche d'un café pour un petit déjeuner. En chemin, nous tombons sur le joli salon de thé Jadis et Gourmande, qui propose un savoureux petit déjeuner traditionnel à la française. Je tombe immédiatement sous le charme de ce lieu tout de bois tapissé. Les chaises rouges près des fenêtres aux rideaux vieille France, je savoure ces tartines, gout, couleurs et lumières de cet instant voluptueux se gravent dans ma mémoire. Je me dis qu'il est vraiment beau, cet homme en face de moi. J'ai de nouveau la conviction que je suis amoureuse, réellement amoureuse.
Nous marchons à pas lents vers la collegiale St Martin, jolie place sur laquelle se tient le marché, puis rebroussons chemin par la rue des têtes. Je vis une frustration extrême, complètement sous le charme de Colmar et dans l'incapacité physique d'en profiter. Je force énormément sur ma cheville, sous le regard désapprobateur de mon amoureux, histoire de voir quelques mètres de plus. Il règne une agitation palpable dans les rues de la ville. Je m'extasie devant les devantures (de meilleurs gouts que celles des villages), toujours aussi kitsch mais portant haut l'identité du lieu. Je rentre dans une boutique de céramique à l'alsacienne, admire la forme de ces moules et autres pièces de vaisselles inconnues. On en ressort avec deux mugs assortis, petit témoignage de notre passage en Alsace. Je passe devant le Musée Hansi, le fameux illustrateur alsacien ayant doré l'image de sa région. En passant derrière les canaux de la petite Venise, une autre vision de la ville se donne à voir, mais je suis en totale souffrance et il est temps de songer à quitter Colmar.
Je garde un souvenir émerveillée de cette ville qui m'a charmée de par son authenticité, avec ses fenêtres aux rideaux kitsch et ses intérieurs tout de bois ancien. L'énergie de la ville m'a plue, et j'ai été très réceptive à ses beautés uniques en leur genre. Je sais que je retournerai à Colmar, en pleine santé, explorer la ville davantage, passer des moments de plénitude entre ses murs.
Sur la route qui nous ramène vers le Sud, nous nous enfonçons toujours plus au coeur de l'Alsace, après avoir fait une croix sur Strasbourg, qui sera l'objet d'un autre voyage. La dernier village alsacien à visiter, c'est Eguisheim, une bourgade aux façades et géraniums colorés où la vie semble paisible. Encore une fois, nous sommes encore plus ou moins les seuls touristes et la vie n'est pas très vivace dans les rues le samedi. Je trouve le village agréable, dans un autre style des deux précédents, bien que finalement très proche. Certaines de ses rues sont en pentes, et je ne peux m'y risquer.
Midi sonne. Nous cherchons un restaurant, je m'offre le luxe d'être exigente, de le choisir vegetarian friendly (compliqué en France) et avec une jolie décoration. La masse du choix n'étant pas compacte, nous nous choissons plus au moins au hasard et je garde encore les sensations du regard des locaux attablés sur moi, de la noirceur de ses murs et de la jolis petites fenêtre contre laquelle je mange ma première flamenkuke, avec un verre de pinot, nos dernières découvertes alsaciennes.
Puis il finit par être l'heure de quitter Eguisheim. Dernière étape de l'Alsace, je sais qu'elle est aussi la dernière étape du road trip. Le vague en l'âme tombe sur moi, brusquement chassé par la terreur.
"Ecoute, c'est pas possible de partir maintenant. On a pas vu de cigogne. On est en Alsace et on a pas vu une seule cigogne, c'est pas possible de partir comme ça." Il soupire et lève les yeux au ciel. Je ronge mon frein. On a vu que des nids vides jusque-là. C'est beaucoup trop dommage, c'est inadmissible, c'est impensable...
Puis il sourit. "Tu as de la chance." Je suis son regard. Sur le toit en pierre d'une sorte de beffroi, un peu à l'écart du coeur du village, deux cigognes, sans doute un couple, contemplent le ciel, le port de tête majestueux, depuis les hauteurs de leur nid. Merci pour ce cadeau, l'Alsace.
Colmar
- marcher sur la rue des tanneurs jusqu'à l'ancienne douane
- la rue des marchands
- la Grand rue
- le musée Bartholdi, le sculpteur de la statue de la liberté
- la cours du Weinhof
- Maison Pfister
- grignotter quelque chose à la maison alsacienne de la biscuiterie
- la maison des têtes
- l'église des dominicains
- la statue de la liberté de Colmar
- le musée du jouet
- le musée Unterlinden, beaux arts
- le musée Hansi
- le quai de la poissonerie
- le marché couvert
- la réplique du Menneken pis de Bruxelles
mais aussi
- la route des vins d'Alsace
- Strasbourg, évidemment
- le mont Sainte Odile
- Ammerschwihr
- Niedermorschwihr
- Turckheim
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